Éditions du Seuil, 2024, 416 pages, 24 euros.
Jean-Baptiste Fressoz, historien de l’énergie, publie Sans transition, une nouvelle historie de l’énergie, un pavé dans la mare du discours convenu. Son argumentation repose sur deux notions majeures qu’il déduit d’une démonstration historique précise, documentée et rigoureuse.
Il n’y a pas eu de transition dans l’utilisation des sources d’énergie mais accumulation. « Les énergies primaires ont eu tendance à s’additionner plutôt qu’à se substituer ». Le bois n’a pas remplacé l’eau, ni le charbon n’a remplacé le bois ; le pétrole — puis l’atome — sont venus s’ajouter à toutes ces sources d’énergie sans en exclure aucune. L’idée d’une succession de phases (âge du bois, du charbon, du pétrole, du nucléaire et maintenant des renouvelables) est une farce qui cache l’augmentation inexorable de la consommation des sources d’énergie et des matières premières. Dans le mix énergétique les proportions varient, mais la consommation absolue de chaque source énergétique augmente.
Dans le monde réel, il y a un mélange, « une symbiose », entre les matières. Le charbon n’a pu être exploité qu’avec une augmentation forte de la consommation de bois pour les étais dans les mines (et une déforestation accélérée), le pétrole n’a pu être trouvé, exploité et utilisé qu’avec des quantités énormes de bois au début (tonneaux et derricks) et de charbon ensuite (acier et ciment pour le stocker et le transporter). Il n’est pas possible de déconnecter production d’énergie et consommation matérielle.
La « transition énergétique » — dont Fressoz décrit la source dans l’ambiance futuriste des pronucléaires américains des années 1960-70 — est un leurre, une « idéologie du capitalisme » qui brouille l’analyse réelle de la situation, néglige les difficultés énormes face au défi climatique et retarde toutes les actions nécessaires.
Les solutions à la crise environnementale ne peuvent se limiter aux innovations techniques et aux énergies renouvelables. Elles sont indispensables à condition d’en connaître les limites. Pour être fabriquées et installées, elles nécessitent métaux et énergies. Si l’électricité « verte » fait fonctionner une économie et des modes de consommation encore carbonés, son intérêt est limité.
Notre projet politique, la rupture avec la croissance capitaliste, ne peut pas faire l’impasse sur les dynamiques énergétiques et matérielles réelles que décrit Fressoz. Construire une alternative crédible ne peut se limiter à changer de technologies, mais à se préparer à une transformation profonde de nos modes de production et de consommation.
Dominique 81