Une aventure sociale racontée par Philippe Durand. Théâtre de Belleville, jusqu’au 31 mai.
Sur scène, il est seul. Seul pour donner vie à la lutte des 182 salariéEs de Fralib contre la fermeture de leur usine de Géménos, près de Marseille, annoncée par la multinationale Unilever en 2010. Une lutte qui durera 1 336 jours... et donnera vie à Scop-Ti et sa marque de thé « 1 336 », hommage à un combat de longue haleine. Tour à tour, Philippe Durand incarne différents acteurs de la lutte, en se faisant la voix de témoignages qu’il a récoltés avec autant de précaution qu’il les retranscrit. Et l’on découvre, bercé par l’accent marseillais, et toujours au plus près de la parole brute, bien plus que la lutte elle-même.
L’élan du collectif
On vit le déracinement des salariéEs de l’usine du Havre, fermée en 1998, « reclassés » à l’autre bout de la France, à l’usine de Géménos, la prudence d’abord puis la franche camaraderie qui naît de la rencontre de ces travailleurEs d’horizons bien différents, l’amour du métier aussi, pour ces alchimistes du thé, et l’écœurement si répandu du métier qui se transforme, se mécanise, perd sa saveur au gré des impératifs de production. C’est aussi une plongée au cœur des techniques patronales de division, de manipulation, de promesses non tenues... le tout raconté avec la plus grande lucidité par celles et ceux qui ont mené la lutte. Paroles d’ouvrières et d’ouvriers se mêlent presque indistinctement pour dresser un tableau vivant des doutes, de la colère, des joies, des nuits passées sur la parking de l’usine, de l’occupation, des familles mises à rude épreuve... Mais s’il se dégage un ressenti de tout cela, c’est la fierté de n’avoir pas cédé, l’élan du collectif qui vous porte bien plus loin que quiconque l’aurait imaginé.
David et Goliath
Dans ce combat, l’adversaire c’était le géant Unilever, dont le chiffre d’affaires s’élevait déjà à l’époque de la lutte à près de 50 milliards d’euros, avec des dividendes en hausse de 8 %, le tout grâce à l’exploitation de 167 000 travailleurEs de par le monde, qu’Unilever n’hésite pas à réduire au chômage si des sites se révèlent moins profitables aux yeux des actionnaires. Et pourtant les Fralib ont pu lui arracher les ateliers, les machines ainsi qu’un capital de plus de 20 millions d’euros pour lancer Scop-Ti, la Société coopérative ouvrière provençale de thé et d’infusions. 58 des 182 travailleurEs licenciés ont ainsi pu retrouver un emploi. Au même moment, les travailleurEs licenciés de SeaFrance créaient la Scop MyFerryLink, laquelle périclitera en 2015, victime d’un marché capitaliste concurrentiel et de la loi du profit, auxquels ne peut échapper aucune Scop dans la société actuelle... Et ce sont aussi ces difficultés que dit la pièce de Philippe Durand, celles de Scop-Ti depuis sa création, qui a bien du mal à garder la tête hors de l’eau financièrement. Une note aigre-douce qui invite à la réflexion, laquelle nous est permise avec d’autant plus de finesse que la pièce offre un tête-à-tête puissant et poétique avec les acteurs de ce combat.
Plus qu’un mois pour aller la voir, courrez-y !
Joan Arnaud