Après une année blanche de public en 2021, le festival 2022, en raison d’une nouvelle vague Covid, avait dû reporter sa date traditionnelle de fin janvier à la mi-mars (17 au 20 mars). C’était un pari, il a été gagnant ! Le public était au rendez-vous, et la qualité aussi.
Covid ou pas Covid, la colère sociale des auteurEs de la profession (dessinateurEs, scénaristes et coloristes) qui s’était massivement exprimée en janvier 2020 1, ne s’est toujours pas éteinte mais, dans le contexte de guerre en Europe que nous connaissons, elle s’est exprimée de façon moins spectaculaire. À l’exception d’un impair grave au sujet de la lutte pour l’environnement, cette 49e édition du Festival a globalement su répondre aux attentes des auteurEs et du public. À un tel point que le Figaro a qualifié le festival et son palmarès « d’élitiste » !
La lutte pour l’environnement et contre le « greenwashing » au cœur du festival
Jusqu’en 2020, le prix de la BD « écolo » (Fauve Éco) ne comptait pas parmi les « Fauves » de l’année, ce qui était anormal vu l’acuité du problème environnemental et ses répercussions dans les œuvres. Juste retour des choses, le festival a décidé d’intégrer le prix « Éco » dans le top des récompenses mais d’y associer le nom d’une des entreprises qui sponsorise le festival, Raja le leader de l’emballage carton. Certes, l’emballage carton ne pollue pas en lui-même mais, au même titre qu’Amazon, il contribue au réchauffement de la planète. Colère des auteurEs (dont E. Davodeau et C. Blain) sélectionnés et colère des membres du jury qui démissionnent en série. Le Fauve Éco sera maintenue mais à minima. ÉchaudéEs par cette opération de « greenwashing » et alertées par une association qui lutte contre un projet de parc d’attraction « Imagiland » avec la BD comme prétexte, une petite centaine d’auteurEs (Catherine Meurisse, Lewis Trondheim, François Bégaudeau…) se sont penchéEs sur le sujet et ont sorti un communiqué où ils et elles dénoncent « l’anachronisme du projet face au désastre environnemental […], un projet qui tire le monde du 9e art quarante ans en arrière » Le collectif « ImagiNon » qui lutte contre ce projet qui anéantirait une zone humide de plus, prendra d’ailleurs la parole au meeting de Philippe Poutou à Angoulême le 28 mars.
Julie Doucet, une artiste « underground » canadienne élue Grand Prix de la ville d’Angoulême
Trois autrices – Pénélope Bagieu, Julie Doucet, Catherine Meurisse – composaient le trio de finalistes après le vote de leurs pairs. C’est Julie Doucet, 56 ans, qui l’a finalement emportée. Autrice féministe engagée à la fin du 20e siècle, elle avait abandonnée la BD depuis plus de 20 ans, écœurée par le machisme ambiant de l’époque. La réédition des ses œuvres magistrales par L’Association en 2021 a certainement beaucoup contribué à cette élection. Présente sur la scène du théâtre mercredi 16 mars au soir, il est bien dommage que sa timidité l’ait empêchée de mettre un peu de folie dans l’atmosphère consensuelle en soutien à l’Ukraine. Le concert dessiné pour l’Ukraine était en effet apolitique et larmoyant. Pas un « fuck Poutine » et pas un appel à soutenir la résistance ukrainienne.
Le retour discret de Tardi à Angoulême
Jacques Tardi, trois fois récompensé à Angoulême puis Grand Prix pour l’ensemble de son œuvre en 1985, se faisait extrêmement rare et n’était plus venu à Angoulême depuis plus de 20 ans. La sortie de la BD Élise et les nouveaux partisans, signée avec Dominique Grange et du documentaire N’effacez pas nos traces consacré au parcours militant de sa compagne Dominique Grange l’a fait se déplacer à la rencontre d’un public intergénérationnel, d’abord sur le stand de dédicaces des éditions Delcourt puis dans une salle de cinéma autour de la projection du documentaire consacré à Dominique Grange. 18 mars, Tardi, un événement dans l’événement.
Un très bon cru pour les fauves 2022
Le Palmarès officiel du FIBD d’Angoulême est composé de 13 prix, baptisés Fauves d’Angoulême. Le Palmarès officiel mettait à l’honneur des œuvres publiées entre le 1er décembre 2020 et le 30 novembre 2021, en langue française (traductions incluses) et rassemblait une sélection de 83 ouvrages. Les 13 albums finalement récompensés cette année sont exceptionnels. À commencer par le Fauve d’or, prix du meilleur album : Écoute, jolie Márcia, de Marcello Quintanilha aux éditions Ça et là.
Márcia est infirmière dans un hôpital situé près de Rio. Elle vit dans une favela avec son petit ami, Alúisio, et la fille qu’elle a eue avec un autre homme. Quand celle-ci fréquente d’un peu trop près les membres d’un gang, Márcia demande à Alúisio de la surveiller. Une plongée passionnante au cœur de la société brésilienne contemporaine, magnifiée par de flamboyants aplats de couleurs.
Nous reviendrons sur l’ensemble des Fauves 2022, mais citons en quelques-uns dont certains sont déjà connus des lecteurEs du journal :
– Le prix de la BD du Musée de l’histoire de l’immigration : Les saveurs du béton, de Kei Lam, chez Steinkis
– Le prix René Goscinny – prix du meilleur scénario pour Madeleine, résistante, de Bertail, Morvan/Riffaud chez Dupuis
– Le prix du jeune scénariste pour Des vivants, de Raphaël Meltz, Louise Moaty et Simon Roussin, chez 2024
– Le Fauve polar SNCF pour l’Entaille, d’Antoine Maillard, aux éditions Cornélius
– Le Fauve d’Angoulême – prix du public pour le Grand vide, de Léa Murawiec, chez 2024
– Le Fauve d’Angoulême – prix de la série pour Spirou, l’espoir malgré tout, d’Émile Bravo chez Dupuis
Bonne lecture.
Voir les numéros de l’Anticapitaliste de fin janvier et février 2020.