Film argentin de Benjamín Naishtat, 1h49min, sortie le 3 juillet 2019.
« Rojo », rouge. En fait de « rouge », on n’en voit aucun ou presque dans le film : l’un meurt avant qu’on apprenne qu’il en est un, une famille a « disparu » et il n’en reste que des livres, une autre (pas vraiment rouge mais il vaut mieux prendre les devants face à ce qui pourrait arriver) a préféré partir à l’étranger. En fait, les personnages essentiels sont des notables de province argentins qui vivent tranquillement, s’accommodent, voire cherchent à profiter d’une situation de tension. Avec comme personnage principal un avocat connu, arrogant et sûr de lui.
Avant la prise du pouvoir des militaires
Le film se déroule peu avant le coup d’État militaire de mars 1976. Au tout début, on voit une maison où entrent et sortent des personnes, les mains vides ou chargées d’objets. Ce n’est que plus tard que viendra l’explication. Suit, dans un restaurant, une autre scène déroutante qui débouchera sur la violence. Au milieu des notables arrivera, plus tard, une espèce de Columbo en imperméable ; il élucidera le crime qui sert de fil rouge à l’intrigue, mais un ultime rebondissement montrera que ses préoccupations sont d’un autre ordre que l’enquête.
Benjamin Naishtat, dont les parents ont dû s’exiler en France, explique avoir voulu rappeler que la répression contre les « Rouges » a commencé avant la prise du pouvoir des militaires. Et également que la marche vers le coup d’État avait une base sociale et idéologique dans ces éléments de la bourgeoisie argentine, toujours prêts à exalter la « patrie » et l’amitié avec les États-Unis. La partition musicale reprend à plusieurs reprises la Danse des Sauvages de l’opéra-ballet de Rameau les Indes galantes qui illustre, selon le réalisateur, la vision qu’ont ces Argentins « blancs » (ou prétendus tels) de la colonisation espagnole.
Ce film est parfois déroutant et semble à diverses reprises dériver par rapport à l’intrigue principale. Mais, au total, il fournit une analyse assez fine (et servie par d’excellents acteurEs) de l’Argentine « profonde » de ces années 1970.
Henri Wilno