Trois ans après la catastrophe survenue à la centrale nucléaire de Fukushima, la situation est très loin d’être sous contrôle. Les populations sont sacrifiées, et les experts dépêchés par le lobby français du nucléaire jouent un rôle particulièrement déplorable.
Alors que Tokyo, située à 230 km de la centrale de Fukushima, devrait accueillir en 2020 les Jeux olympiques, le gouvernement japonais tente de rassurer l’opinion publique internationale. Le 7 septembre 2013, à Buenos Aires, lors de son discours devant le Comité olympique international, le Premier ministre Shinzo Abe a donné « la garantie absolue que les questions sanitaires ne constituent pas un problème jusqu’à présent, et qu’elles n’en constitueront pas plus à l’avenir. »
De drôles de champignons
Dans la région de Fukushima, au bord des chemins, au milieu des champs, ou même dans la cour de récréation des écoles, se trouvent de gros sacs bleus ou noirs, recouverts parfois d'une bâche, le plus souvent livrés aux quatre vents. Ces « big bags », comme les appellent les Japonais, sont remplis de terre, de feuilles, de branches, de gravats. On y met, pêle-mêle, tout ce qui a été souillé par les retombées radioactives – césium 134 et 137 – de l'accident nucléaire de mars 2011.
Chacun en contient une tonne et il y a des millions de ces sacs, disséminés dans des milliers de dépôts plus ou moins improvisés. Un amoncellement de déchets de faible ou moyenne activité, mais qui empoisonnent aujourd'hui la vie des habitants. Les volumes de terre et de végétaux à enlever sont vertigineux : entre 15 et 55 millions de m3. Sans compter les forêts, qui couvrent les trois quarts de la région de Fukushima et sont fortement chargées en césium, mais que nul ne songe à raser.
On le voit, la situation est très loin d’être sous contrôle. Pourtant, en mai 2013, les autorités japonaises ont décidé de rouvrir les zones interdites, malgré un rapport accablant rédigé par Anand Grover, rapporteur spécial du Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies.
Les chercheurs du CNRS, Thierry Ribault et Cécile Asanuma-Brice, qui vivent et travaillent dans la capitale, citent les propos tenus récemment par Hiroaki Koide, professeur de physique à l’université de Kyoto : «A Fukushima, la radioactivité dépasse officiellement les 60 000 becquerels/m2. Or, le gouvernement affirme que les habitants peuvent y habiter. La route, la gare, la place devant la gare, les bosquets, les montagnes, tout est contaminé. L’endroit où nous sommes actuellement devrait être classé ‘‘zone d’accès contrôlée’’ et être évacué. »
Un ministre d’Etat japonais confiait en mai 2013 qu’un seuil à 5 millisieverts – qui a prévalu à Tchernobyl – aurait impliqué l’évacuation d’une partie des deux plus grandes villes du département, Fukushima et Koriyama, plus de 300 000 habitants chacune, « rendant impossible le fonctionnement du département », sans compter « les inquiétudes relatives aux dédommagements supplémentaires ». Voilà qui a le mérite d’être clair.
La France et ses experts encouragent le retour des populations
Un accident nucléaire dans la vallée du Rhône, avec ses 14 réacteurs et ses multiples transports de matières radioactives, impacterait plus de deux millions de riverains. Il en est de même à Lyon (Bugey), Bordeaux (Blaye), etc. On comprend pourquoi, d’EDF à Areva, l’étude in vivo de la résilience au Japon présente un intérêt hautement stratégique. On trouve des experts français à tous les étages des comités et organismes internationaux.
Ainsi à l’UNSCEAR (Comité scientifique de l’ONU sur les conséquences des émissions radioactives) qui « prévoit » qu’il n’y aura aucune augmentation du risque de cancer du fait du désastre de Fukushima. Cette organisation compte parmi ses délégués des membres clairement pro-nucléaires. Certains d’entre eux appartiennent à l’American Nuclear Society (ANS), dont la section française (SFANS) compte 250 experts, issus du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) mais aussi d’EDF ou du groupe Areva, qui a vendu son combustible Mox à Tepco pour la centrale de Fukushima un mois avant l’accident.
Olivier Isnard, de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), entonne la même berceuse : « Dans cette étape intermédiaire, et selon les recommandations internationales en vigueur, on peut revivre dans la zone contaminée à condition que le niveau d’exposition externe et de contamination interne combinés n’excède par 20 millisieverts par an. »
Un « comité d’experts » déclarait en janvier 2012 au quotidien Libération, au sujet de la catastrophe de Fukushima : « même dans le long terme, le nombre de cancers induits par l’exposition aux radiations devrait rester très limité. » De son côté, Yves Bréche, nommé haut-commissaire à l’énergie atomique en septembre 2012, ne tarit pas d’éloges pour « GreenFacts » et « Sauvons le Climat », structures modèles associant, selon lui, « compétence scientifique et indépendance ». Il omet toutefois de préciser que « GreenFacts » est financée par Carrefour, Suez et le groupe belge de chimie Solvay, modèles d’indépendance, tandis que « Sauvons le Climat », financée par EdF et présidée par Claude Jeandron, directeur-adjoint du Développement durable et de l’environnement à EdF, se consacre au sauvetage du nucléaire, comme le souligne le quotidien en ligne Reporterre1.
Quelle est la réalité de ce retour forcé ?
Le désastre de Fukushima, c’est 24 000 employés ayant travaillé sur les lieux depuis mars 2011, dont seulement 3,7 % peuvent bénéficier d’un examen de détection de cancer proposé par les autorités et TEPCO (l’exploitant de la centrale nucléaire de Fukushima). C’est, sur les deux millions d’habitants du département, seulement 100 000 réfugiés du nucléaire ayant migré à l’intérieur du département et 63 000 autres l’ayant quitté. C’est seulement 10 % des enfants du département déplacés en dehors de celui-ci. C’est un tiers des 300 000 habitants de la ville de Fukushima affirmant vouloir partir sans pouvoir le faire. Ce sont les aides au retour mises en place par le gouvernement, pour inciter les réfugiés à revenir dans des zones pourtant identifiées comme contaminées, et c’est, depuis décembre 2012, la suppression de la gratuité des logements publics pour les nouveaux réfugiés hors du département.
Alors comment envisager un retour des habitants dans ces zones très contaminées ? En utilisant la désespérance des populations locales, toujours logées dans des habitations provisoires. En outre, l’administration empêche les sinistrés de quitter le département de Fukushima. « S’ils souhaitent déménager dans une autre partie du pays, ils perdent leur maigre allocation de 780 euros, alors ils préfèrent rester. D’autant plus que partir peut être considéré comme une trahison. Pourtant, trois quarts de ces habitats provisoires sont situés en zone contaminée », ajoute Cécile Asanuma-Brice dans un entretien à Reporterre. Et pour conclure, elle cite une riveraine : « C’est bien pire qu’à Tchernobyl. Et si on nous laissait là, sans jamais nous apporter de solution ? Comment allons-nous finir ? Notre vie, désormais, c’est de creuser notre tombe. »
Que protège-t-on en incitant les populations à revenir vivre sur des terres contaminées où le seuil d’inacceptabilité, fixé à 20 millisieverts par an, est quatre fois supérieur à celui fixé à Tchernobyl – sans compter les « points-chauds » à plus de 50 millisieverts – et vingt fois plus élevé que le seuil internationalement recommandé ?
Que protège-t-on en appelant à retrouver une « vie normale » à proximité d’un complexe nucléaire hautement dangereux : inondations, fuites d’eau contaminée, démarrage imminent d’opérations d’extraction des 400 tonnes de combustibles de la piscine du réacteur n°4, (dont les produits de fission représentent 14 000 fois ceux de la bombe de Hiroshima), sans compter les conséquence qu’aurait un nouveau tremblement de terre sur cette même piscine ?
Quoi donc, si ce n’est la continuité de l’industrie nucléaire française, le prolongement de la durée de vie des centrales et finalement l’acceptation d’un accident nucléaire en France.
Dominique Malvaud
Notes :