Dans le discours dominant, les travailleurs ne sont plus qu’un coût. Dans son dernier livre1, Olivier Besancenot a accumulé des données chiffrées qui relativisent les leitmotivs de l’information économique courante et donnent des arguments pour y répondre.
Il montre ainsi que les succès industriels allemands ne s’expliquent fondamentalement ni par des salaires plus faibles (les coûts horaires dans l’industrie en France et en Allemagne sont au même niveau) ni par des écarts de productivité et de durée du travail. En fait, pour comprendre les performances germaniques à l’exportation, il faut aussi prendre en compte la compétitivité « hors prix » (qualité, image de marque, fiabilité des réseaux de distribution, etc.). Malgré les avantages dont elles bénéficient (comme le crédit impôt recherche dont même la Cour des comptes a mis en cause l’efficacité), l’effort de recherche des entreprises françaises est sensiblement plus faible qu’en Allemagne. Il est exact que dans l’industrie de la viande, l’Allemagne a des coûts plus bas... mais c’est grâce à une exploitation abjecte des travailleurs basée sur un recours massif aux « travailleurs détachés » d’Europe de l’Est. Le livre montre comment la mondialisation n’est pas seulement une affaire de bas salaires : il s’agit de réduire tous les coûts et d’augmenter tous les gains, en échappant en particulier à la fiscalité.
Le travail ne serait qu’un coût ? Le livre rappelle les gains pharamineux de productivité : dans l’industrie, il fallait 19 minutes pour produire un euro de valeur ajoutée en 1949, 11 minutes en 1960, 1 seule aujourd’hui ! En 1960, Renault produisait 8 voitures par salarié, en 2004, 42. Tous les chiffres montrent que les salariés rapportent aux entreprises plus qu’ils ne coûtent, y compris bien entendu si l’on tient compte du salaire indirect, c’est-à-dire des cotisations sociales qui financent les prestations et sont bien un élément de la rémunération des salariés.
Un « bon » coût du capital ?
Le dernier chapitre s’intitule « Le véritable coût du capital : financier, social et environnemental ». Il s’agit en fait des coûts du capitalisme, comme système fondé sur l’exploitation des salariés et la recherche effrénée du profit. La campagne actuelle de la CGT dénonce à juste titre les prélèvements du capital (actionnaires, banques) sur les entreprises, mais quand elle s’attache à vilipender un « surcoût du capital », ce qui dissocie implicitement un « bon » coût du capital d’un « mauvais », elle donne une vision erronée des mécanismes du système, car c’est bien l’ensemble des profits qui est issue de l’exploitation des salariés. Le livre souligne les impasses du capitalisme actuel marqué par l’interpénétration de la finance et de la production.
Mais les coûts du capitalisme, ce sont aussi les inégalités grandissantes, le chômage, les accidents du travail et maladies professionnelles (des chiffres détaillés sont donnés), l’augmentation du mal être au travail… Et enfin, la crise écologique amplifiée par des circuits de fabrication étirés sur des milliers de kilomètres.
Revenir à la racine
Dans la gauche radicale, il est aujourd’hui de mode chez certains de se polariser sur les questions de politique économique et d’attribuer quasiment chômage, dégradation des retraites, faible croissance, etc. à l’Allemagne et à sa politique. Tout n’est pas forcément inintéressant dans ce qui est écrit sur ces sujets. Mais « Être radical, c’est prendre les choses à la racine », écrivait Marx, et la racine, c’est le capitalisme tel qu’il fonctionne aujourd’hui : le yacht de Bolloré plutôt que le « hareng de Bismarck »...
En conclusion, Olivier Besancenot insiste sur la nécessité pour les salariés, non pas d’attendre la reprise économique, mais de reprendre l’initiative. Même s’il faut démasquer les mensonges de l’économie dominante, la vraie réponse aux attaques incessantes et à la logique mortifère ne s’opérera pas dans le domaine des idées : une contre-offensive sociale est nécessaire.
Henri Wilno
- 1. Le véritable coût du capital, Olivier Besancenot, Éditions Autrement, 2015, 17 euros.