Parmi les promesses de changement formulées durant la campagne présidentielle de Hollande, l’éducation était présentée comme une priorité. Si changements il y a eu, ils se distinguent surtout par une continuité et un renforcement des réformes du précédent gouvernement.
Sous un habillage « pédagogiste », il s’agit de conforter les directives de l’OCDE, acceptées par le gouvernement Jospin en 2000. Baisser le « coût » de l’éducation nationale en se délestant de pans entiers des missions jusqu’alors assurées par le service public d’éducation, au profit d’une territorialisation qui creuse les inégalités et privilégie les entreprises privées.
Un budget en trompe l’œil
La promesse de créer 60 000 postes sur cinq ans n’équilibre pas les 77 000 postes supprimés par le précédent gouvernement. Si le principe du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite a été abandonné, cela s’effectue au détriment des autres services publics en ne compensant pas les futurs départs.
Qui plus est, le concours de recrutement exceptionnel mis en place s’est soldé par un échec patent avec moins de candidats que de postes ouverts. La dégradation des conditions de la formation au métier d’enseignant-e et du métier lui-même génère un manque d’attrait compréhensible. Ce problème s’explique aussi par le fait que les étudiants paupérisés ne voient pas ce nouveau recrutement comme une possibilité de poursuivre leurs études. La politique d’austérité, appliquée aujourd’hui au moyen de la modernisation de l’action publique (MAP), s’accentue et contribue à une remise en cause du statut. La multiplication des contrats précaires et le transfert de missions vers d’autres pôles mettent en péril le statut de fonctionnaire, ainsi que les missions de service public.
Côté salaires, c’est la même logique qui prévaut depuis 2000, la valeur du point indiciaire ayant régressé de 13 % en moyenne par rapport à l’augmentation des prix. Cette situation a de graves répercussions sur les rémunérations de tous les agents de la fonction publique. Le gouvernement Hollande ne rompt donc aucunement avec la logique du gel des salaires.
Des réformes régressives qui ne disent pas leur nom
La scolarisation est plus longue et plus massifiée : le niveau moyen monte et pourtant les inégalités et l’échec scolaire se renforcent. Face à ce constat, les réformes passées et récentes, étayées par la nouvelle loi d’orientation et de programmation de Hollande-Peillon, suivent la même logique. Et ce, afin de conforter la bourgeoisie et ses dirigeants dans leurs choix de ne pas payer trop cher des salariés qui possèderaient à leurs yeux trop de qualifications au regard des compétences dont ils auraient réellement besoin. Ainsi, la nouvelle loi d’orientation fait la part belle au patronat en lui donnant la possibilité d’intervenir de plus en plus dans les contenus d’apprentissages et afin d’accéder à ses vœux, le gouvernement dote l’éducation d’une myriade d’orientations, de parcours imposés et ce dès le plus jeune âge, qui répondent à une logique d’« employabilité » et non aux choix des élèves et des jeunes.
Ainsi, la loi d’orientation de l’« école du socle »1 entend associer les collectivités locales par des contrats d’objectifs, non pas dans le but de faire revivre certaines régions dévastées par le chômage, mais afin de renforcer la soumission des écoles et des établissements aux besoins du patronat local. L’orientation et la formation professionnelle seront directement soumises aux intérêts privés locaux. Cette politique renforcera également les sélections déjà existantes et les inégalités territoriales, les moyens variant très sensiblement d’une région à une autre, d’un département à un autre, d’une commune à une autre.
C’est cette même logique que porte le « socle commun de connaissances et de compétences », auquel le gouvernement actuel n’a fait qu’ajouter un mot (connaissances), mais qui reste identique quant à son contenu et en continuité avec l’esprit de la loi Fillon de 2005. Une école du socle qui se conforme de plus en plus aux normes de la culture dominante et élitiste, dans une conception où prévaut la gestion managériale des apprentissages, à l’image de la gestion des personnels dans les écoles et les établissements eux-mêmes, et le culte de l’évaluation. Juxtaposition de compétences empilables mais pas reliées entre elles, qui ignorent les savoirs qui les sous-tendent.
La « morale laïque » qui devra être enseignée constitue de ce point de vue un puissant révélateur d’une vision rétrograde de l’école. En effet, le terme même de morale inscrit de fait cette nouvelle discipline dans une tentative de normalisation des comportements et en particulier dans la soumission ; y adjoindre le qualificatif de « laïque » ne change rien à l’affaire. L’adaptation au système scolaire, vocable très souvent utilisé par le gouvernement, sous-entend d’adapter le système aux différents publics dans le cadre de la massification dans une école où les compétences minimales exigées entraînent à une course à l’« adaptabilité » et à plus ou moins long terme à l’« employabilité ».
Vers l’éclatement du service public d’éducation
La révision générale des politiques publiques (RGPP) est venue renforcer les hiérarchies locales en imposant le « nouveau management public »2. S’inscrivant dans cette logique, la contractualisation des établissements a imposé la prééminence du contrat sur la loi : autoritarisme, détérioration des conditions de travail, politique du chiffre, etc. L’acte III de la décentralisation, en cours de finalisation, ne fait que renforcer ces politiques, puisqu’il engage une sorte de décentralisation à la carte, qui fera éclater et affaiblira les politiques publiques menées au niveau national en renforçant une territorialisation au service de potentats locaux, sans aucun contrôle de la population et instaurant une logique de marché scolaire.
La loi Fioraso sur l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) poursuit la même logique. Dans la stricte filiation de la loi LRU et dans le cadre d’une politique d’austérité budgétaire, elle entérine la volonté de soumettre les choix des laboratoires, concernant notamment les objets de recherche, à une logique utilitariste qui est celle des entreprises capitalistes (d’où la priorité accordée à la recherche appliquée et à tout ce qui peut contribuer à l’accumulation du capital). Les universités seraient par ailleurs habilitées à délivrer des diplômes individualisés et elles se spécialiseraient en fonction des besoins immédiats de l’environnement économique local. La refonte de la carte universitaire se poursuit donc autour de regroupements régionaux permettant d’articuler les budgets en vue d’accroître la « compétitivité » dans un contexte d’austérité sans fin. Cela tirera vers le bas les conditions de travail de tou-te-s en faisant jouer à plein la concurrence.
Une autre réforme, celle des rythmes scolaires, a cette année secoué les enseignant-e-s des écoles primaires. En effet, plusieurs problèmes sont au cœur de cette réforme. Le décret Peillon instaure d’abord un retour à neuf demi-journées dans un cadre contraint, sans amélioration des conditions de travail pour les élèves et les enseignant-e-s. En laissant entendre que l’échec scolaire se situerait hors du temps de classe, la réforme confie les missions du service public d’éducation aux élus locaux, renforçant ainsi la territorialisation et les inégalités qui en découlent. Dans un contexte où l’Etat devrait réduire les dotations aux communes de 4,5 milliards d’euros d’ici 2015, les inégalités déjà existantes ne feront que se creuser davantage. Elles auront des répercussions sur l’école et notamment sur les crédits pédagogiques, l’entretien et l’équipement des locaux scolaires, les salaires et les conditions de travail des contractuels. Dans le même temps, il est exigé des communes d’organiser et de prendre en charge financièrement, et ce intégralement à partir de 2014, trois heures d’activités périscolaires hebdomadaires. La question de la gratuité de ces activités n’est pas posée.
Que peut-on en attendre de positif pour les élèves, alors que les taux d’encadrement revus à la baisse obèrent d’ores et déjà la qualité des activités prévues ? D’autant que la plupart des communes – notamment les plus pauvres – seront incapables de former les personnels encadrants nécessaires. Le panel d’activités proposées se fera alors en fonction du tissu associatif, sportif et culturel environnant, et jouera forcément sur l’« attractivité » des écoles, dans une logique de mise en concurrence et de marchandisation de l’éducation.
Changer le monde, changer l’école
Dans sa forme actuelle, le système éducatif est basé sur l’élitisme et le stress, et il n’y a pas lieu de s’étonner qu’il apparaisse anxiogène aussi bien aux élèves qu’à leurs parents3. Compétition scolaire, inégalités territoriales et injustices sociales perdurent et s’aggravent via les nouvelles réformes mises en place par le gouvernement Hollande-Ayrault-Peillon, qu’elles aient pour objet les programmes d’enseignement, l’évaluation, les pratiques pédagogiques, la formation des élèves et des enseignant-e-s, etc.
Les mots sont détournés et dévoyés pour mieux inscrire l’école dans le cadre d’un capitalisme qui a fait son temps, étant à l’origine d’une crise à la fois économique, sociale et écologique. Les objectifs du NPA sont bien de tourner le dos à ce projet pour construire une école à la fois démocratique et émancipatrice, de la maternelle à l’université en passant par la recherche. Or une telle école ne pourra voir le jour sans une rupture radicale avec le système capitaliste. Mais en attendant que les conditions politiques de cette rupture soient réunies, rien ne nous empêche dès à présent de lutter contre l’éclatement du service public d’éducation, de pousser les contradictions en son sein et de construire un projet pour l’école débarrassé des logiques libérales.
Pour ce faire, l’unité syndicale la plus large et l’auto-organisation doivent aller de pair, afin de satisfaire les revendications mises en avant lors des luttes et d’être capable de poser la question d’une autre école dans une société révolutionnée. Mais nous ne pourrons gagner quoi que ce soit dans le cadre de mouvements sporadiques, menés chacun-e de son côté, tels qu’ils sont décidés et (faiblement) organisés par les directions nationales des syndicats des personnels de l’éducation nationale. Car le gouvernement, quels que soient les catégories de personnels et les niveaux scolaires, apparaît bien décidé à poursuivre la mise en œuvre d’une logique destructrice sous des appellations diverses et variées, avec des objectifs similaires à ceux de la droite.
C’est à cette tâche primordiale – dans leur syndicat et leur école, au jour le jour et sur différents terrains – que s’attèlent les militant-e-s du NPA et toutes celles et ceux qui sont attaché-e-s à l’idéal d’une école œuvrant à l’émancipation sociale.
Gabrielle Thimbert
Notes
1. En référence au « socle commun de connaissances et de compétences ».
2. Voir : C. Laval, P. Clément, G. Dreux et F. Vergne, La nouvelle école capitaliste, Paris, La Découverte, 2011.
3. Rapport de l’OCDE de 2012.