Par Jean-Michel Zakhartchouk, publié sur son blog Enseigner au XXe siècle.
SI l’on veut connaitre les positions précises du Front national sur l’école, on ne peut se référer sur le site officiel qu’à un ensemble assez court qui apparemment date de la fin du quinquennat de Sarkozy et qui n’a pas été mis à jour. Certes, depuis a été créé le collectif Racine, les enseignants « bleu marine » dont j’ai parlé dans un précédent billet et qui régulièrement publient des communiqués qui vont toujours dans le sens de la nostalgie d’un passé mythifié et de la soi-disant « restauration », dans le démolissage de toutes les initiatives gouvernementales et dans le soutien aux mouvements les plus réactionnaires dans le domaine scolaire.
Mais revenons au programme FN qui ose se qualifier de « refondateur » -il sera peut-être prochainement réactualisé, probablement en allant vers le pire puisqu’on suppose que les reproches adressées à l’école de Sarkozy ne sont rien par rapport à l’attaque en règle contre l’école « socialiste » (théorie du genre, interdisciplinarité ou fin des bourses au mérite …)
D’abord, je me suis demandé qu’est-ce qui distingue ce programme des positions sur l’école de ceux qui pilonnent sans cesse le « pédagogisme » ? Sans doute la radicalité et l’extrémisme, mais au fond pas tant de choses. On trouve l’affirmation de l’autorité-rataplaplan, la référence à la culture nationale, la verticalité du rapport maitre/élève, la condamnation du collège unique et le recours à la sélection précoce, le recentrage en primaire sur le français et le calcul (on ne parle même pas de mathématiques et l’on réduit le français aux règles d’orthographe et de grammaire).
Ce qui frappe quand même, c’est l’extrême fermeture de cette école : fermée aux nouvelles technologies, à l’histoire européenne et mondiale, au monde du XXI° siècle. On objectera que le mot « ouverture » est présent dans la phrase : « L’école doit aussi donner au citoyen les moyens de subvenir à ses besoins et à ceux des siens, sachant qu’il changera probablement trois ou quatre fois de métier au cours de sa vie active. Les programmes doivent présenter les fondamentaux de chaque matière dans une perspective d’ouverture. » Mais on ne voit pas bien ce que signifie ici cette « ouverture » qui devrait être si on prend le début « subvenir à ses besoins » (remarquons le caractère réducteur de la formule, digne d’une mauvaise rédaction de troisième) être justement une conception large des compétences du siècle présent (savoir s’exprimer à l’oral, travailler avec les autres, se constituer un esprit critique, pour pouvoir par exemple décoder un tract du FN…) qui ne se trouvent absolument pas dans ce « programme » rudimentaire.
Beaucoup de fausse naïveté : dans un programme global, les solutions aux manquements à l’autorité qui sont proposés sont : « se lever quand le professeur entre en classe, bannir le tutoiement par l’élève de l’enseignant. » On ne sait pas si cela s’étend à l’école maternelle d’ailleurs ! En oubliant, comme Sarkozy qui était friand de cette formule de l’élève qui se lève, que ce qui compte vraiment c’est ce qui se passe une fois qu’il est assis et que cela ne peut se régler par la multiplication de sanctions (alors qu’on sait que c’est plutôt un mauvais signe quand les établissements battent les records de conseils de discipline, etc.) On est là dans les solutions simplistes, d’ailleurs irréalistes du FN, sauf à être dans un régime vraiment autoritaire qui très vite remplirait les prisons et les lieux de rétention spécialisés. La désinformation de l’opinion en la matière est faramineuse et j’en veux à certains intellectuels de se faire l’écho de cette désinformation, comme si le respect des professeurs et le combat pour plus d’autorité n’étaient pas déjà à l’ordre du jour de tous les établissements, mais sous d’autres formes et avec une vraie réflexion dans les meilleurs des cas. Cette histoire du laxisme généralisé est tellement éloignée de la réalité ! Au passage, le FN écrit : « Depuis une quinzaine d’années, l’insécurité à l’école n’a cessé de progresser, de l’ordre de 10% par an d’après les chiffres officiels. Or la transmission du savoir ne peut s’effectuer ni dans le chaos, ni dans l’anarchie. » On aimerait les références à ces chiffres, mais la précision des données n’est pas le fort de ce parti, on le sait.
Sur les savoirs, on trouve très peu d’ambition, sauf pour « l’élite » à l’image des candidats aux élections départementales à mille lieues de ceux qui saventcomme l’ancien élève HEC Philippot ou quelques rares lettrés réactionnaires et qui brillent par leurs manquements à l’orthographe dans leur tract (mais c’est sans doute le faute de notre école !) et ne savent pas parfois dans quel canton ils se présentent. Le FN parle de « viatique » limité. Eh bien, on y est dans le viatique limité là.
Quels contenus ? « Le français, langue latine s’écrivant dans un alphabet latin, seule la méthode syllabique est appropriée pour apprendre à le lire et à l’écrire correctement. Son enseignement comprend le vocabulaire, l’orthographe, la grammaire et l’approche des grands auteurs. » S’y ajoutent d’une part des notions solides sur l’histoire de France, à partir de la chronologie et de figures symboliques qui se gravent dans les mémoires, d’autre part une connaissance de la géographie du pays, reposant sur des cartes. À l’école primaire, s’ajoute encore l’apprentissage du calcul. Tout au long de la scolarité, les enseignements doivent être délivrés dans une langue limpide, d’où sont bannis les termes jargonnant et les dernières modes qui peuvent agiter légitimement les spécialistes. L’objectif n’est pas un savoir de spécialistes, mais un viatique pour vivre ensemble. »
J’adore le « vivre ensemble » qui en langage FN signifie « chez nous », là où on ignore l’histoire de l’Afrique ou de l’Asie, la littérature mondiale. Quels textes de grands auteurs nous proposeront les programmes FN ? Le Hugo pourfendant la guillotine, le Zola de l’affaire Dreyfus que des journaux attaquaient parce qu’il n’était pas « français de souche » (expression récemment revendiqué explicitement par Marion Maréchal-Le Pen)?…Et de quelles grandes figures historiques est-il question ? Nul doute qu’on va être plutôt du côté de Zemmour et Casali que de Jeanneney ou Borne.
On trouve encore bien des choses qui ne déplairont pas à certains.
- L’insistance sur le fait que le maitre « sait » : il n’est jamais question de chercher ensemble, de travailler avec les élèves sur les manières non pas de « construire les savoirs » au sens où l’entendent les réactionnaires mais de comprendre comment on peut savoir quelque chose, comment on va chercher le savoir, le trier, le vérifier, à l’heure d’internet. Tout cela est totalement absent, mais il est vrai qu’on aime bien obéir à un chef aveuglément, sans trop réfléchir, au FN…
- l’école « sanctuaire », ce qui veut dire le rejet de l’état d’esprit « pédagogiste » qui n’est guère défini, un état d’esprit qui est en tout cas FN-incompatible, c’est vrai !
- la flatterie envers le professeur, avec une hostilité marquée envers le monde des parents qui aurait tendance, suggère-t-on, à le considérer comme « client », comme si c’était un fait général. Mais il est vrai que ceux qui ne maitrisent pas la langue française devront la fermer ou suivre des cours obligatoires (comme ceux qui la manient avec vulgarité à travers leurs tweets racistes, n’est-ce pas ?)
- l’installation de portiques de détection des métaux, comme remède à la violence (mais il s’agit ici de faire peur et laisser penser que les armes entrent à l’école)
- le maintien obligatoire de la note (ils devraient dire d’ailleurs son rétablissement là où elle a été supprimée). Et réacs de tous bords d’applaudir, non ? Michel Onfray, ça fait partie des vérités dites par la Droite extrême ? Dans la foulée, le Bac sans le moindre contrôle continu, mais avec beaucoup plus de sélectivité. Pourquoi pas un mot d’ordre : 20% d’une classe d’âge au niveau du bac pour 2020 ?
- la démagogie d’une phrase telle que « les efforts de réduction d’effectifs seront concentrés sur l’administration centrale du ministère de l’Education nationale », comme si cela pouvait représenter quelque chose de significatif en matière de dépenses.
On peut relever bien entendu tout ce qui est absent de ce programme, en plus de ce que j’ai noté plus haut : le travail d’équipe, les projets, le développement de la créativité et de compétences civiques et sociales, le souci de réduire les inégalités (et on dit que le FN se préoccupe des classes populaires !), la réduction de la fracture numérique, sans oublier le partage d’une culture artistique par tous. Et bien entendu tout ce qui aurait un rapport même lointain à la construction d’une conscience européenne ou de « citoyen du monde ».
En fait, si les aspects nationalistes sont un peu accentués par rapport à la doxa anti-pédagogique, on retrouve bien des thématiques qui justifient le soutien clairement exprimé du FN et du collectif Racine aux syndicats réactionnaires et anti-réformes aux élections professionnelles de l’Education nationale, ainsi que celles de ces intellectuels qui font honte à la pensée dès qu’ils parlent de l’école (les Finkielkraut, Julliard, Comte-Sponville). Je connais les sophismes de ces derniers : en gros, on a laissé l’autorité, la transmission, l’histoire nationale, etc. au FN, il faut les revendiquer. Or, on ne parle pas de la même chose quand on parle de tout cela, « on » n’a rien laissé à personne, les pédagogues qui se respectent sont les premiers à revendiquer la connaissance, la nécessaire autorité (mais pas celle qui diminue les pouvoirs de chacun, celle qui aide à se construire), mais aussi bien sûr les outils de la citoyenneté nécessaires pour s’opposer aux idées folles et plus que démagogiques du FN et de quelques autres. Il faut bien dire qu’on est loin d’avoir réussi à faire passer ces idées.Plus que jamais, il faut démonter le discours de l’extrême-droite, même masquée et s’opposer à sa « résistible ascension ».