La grève des cheminots représente un événement majeur dans le quinquennat de Hollande. Non pas, hélas, parce qu’elle a changé le rapport de forces entre les classes : il s’agit d’une défaite importante, un saut dans la casse du service public ferroviaire et du statut des cheminots. Mais parce qu’elle est le premier signe de l’émergence d’une révolte contre le gouvernement du côté du mouvement ouvrier.
Les deux premières années de Hollande ont été marquées par la passivité ou des luttes dispersées, en raison notamment de la collaboration quasi complète des directions syndicales avec le PS. L’opposition au gouvernement a été dirigée par les réactionnaires, de la « Manif pour tous » au Front national.
Le gouvernement a relevé le défi que représentait la mobilisation des cheminots, a mis tous les moyens pour obtenir sa victoire. Il a déployé l’arsenal patronal habituel, en intégrant les syndicats, en mobilisant les médias et dix mille cadres de l’entreprise pour faire rouler quelques trains et décourager les grévistes. La nomination de Valls était d’ailleurs en elle-même un signe politique pour montrer que Hollande était prêt à aller jusqu’au bout de l’affrontement.
Sa victoire lui a permis de faire voter, dans les jours qui ont suivi, un nouveau budget d’austérité et une nouvelle étape du « pacte de responsabilité ».
Des leçons pour les luttes
Mais la grève a accumulé des expériences fondamentales pour les prochaines luttes. En effet, la brutalité du gouvernement a modifié les méthodes de mobilisation des salariés.
Tout d’abord, les directions syndicales ont dû aller plus loin qu’elles ne le souhaitaient elles-mêmes – presque deux semaines de grève reconductible là où elles en prévoyaient seulement quelques jours… Les équipes syndicales locales se sont partiellement détachées des confédérations et du Front de gauche : de nombreux militants du PCF et de la CGT ont été poussés à critiquer frontalement l’attitude de leur syndicat et à reconnaître que les amendements au projet de loi présentés par Chassaigne représentaient de « l’enfumage ». Ces militants se sont souvent tournés vers les révolutionnaires, en leur demandant : « et vous, qu’est-ce que vous proposez pour lutter ? »
Une nouvelle génération de cheminots, qui n’a pas connu les mobilisations de 1986 ou 1995, mais qui a participé à celle contre le CPE, a poussé pour des actions combatives, contraignant les syndicats à organiser des rassemblements près de l’Assemblée puis transformant ces rassemblements en manifestations et occupations de voies. Les assemblées générales ont été organisées de manière intersyndicale et interservices dans de nombreuses gares, et une « AG des AG », embryon d’auto-organisation, s’est mise en place à Paris.
Une nouvelle période politique
La mobilisation confirme que nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la crise. Dans cette phase, une fraction du mouvement ouvrier prend lentement son autonomie par rapport au gouvernement. Ses organisations sont traversées par des contradictions importantes, entre une base qui aspire à se révolter et des directions qui restent largement inféodées, directement ou indirectement, au PS. La tâche fondamentale des révolutionnaires est de s’appuyer sur les éléments combatifs, de les encourager, les aider. Les tentatives de « convergence des luttes », même si elles ont nécessairement eu un caractère limité du fait des grandes différences entre les mobilisations des intermittents, des cheminots et des postiers de la région parisienne, représentent un élément positif.
De ce point de vue, la mobilisation révèle aussi nos faiblesses : les collectifs de soutien à la grève ont été limités, il n’y a pas eu de caisse de grève, il n’existe pas encore d’opposition organisée dans les syndicats pour contribuer à organiser les luttes.
Et, surtout, l’extrême droite est plus que jamais en position de force. En effet, même s’il a bien sûr critiqué l’utilisation de la grève, qui est le seul outil efficace pour les travailleurs, le FN s’est payé le luxe de soutenir la mobilisation au nom du service public national. De plus, dans les manifestations, on a pu voir des militants combatifs effectuer des « quenelles » et chanter la Marseillaise. Quelques semaines après la mobilisation, le déluge raciste du FN et de l’UMP contre les supporters de l’équipe algérienne de football montre que l’extrême droite a toujours le vent en poupe.
Force est donc de constater que les difficultés restent très importantes, mais que les cheminots ont ouvert une voie : la possibilité pour les travailleurs de reconquérir leur autonomie, de prendre leurs affaire en mains pour s’opposer au gouvernement, par leurs moyens de lutte traditionnels que sont la grève, le blocage de la production, l’auto-organisation et l’unité de classe. o