Entretien. Après la grève des contrôleurs du 16 au 19 février et celle des aiguilleurs les 23 et 24 février, Yann, contrôleur et syndicaliste à SUD-Rail, explique la situation, après huit années de gel des salaires, et esquisse les possibles suites du mouvement.
Pourquoi y a-t-il eu deux grèves, celle des contrôleurEs et celle des aiguilleursEs ?
Depuis la grève contre la réforme des retraites la colère n’est pas retombée mais nous assistons, concernant le processus revendicatif, à une sorte de repli catégoriel.
Malgré des tentatives syndicales pour lancer un mouvement de grève de l’ensemble des cheminotEs autour des négociations annuelles obligatoires (NAO), il existe une sorte de défiance envers les mouvements perçus comme généraux. Sentiment qui a été renforcé dans l’esprit des cheminotEs par l’obtention de victoires revendicatives à l’échelle d’une corporation, avec l’exemple de la grève victorieuse de décembre 2022 des contrôleuses et contrôleurs ou bien celle des aiguilleuses et aiguilleurs qui ont obtenu des avancées salariales en juillet 2022.
Ces deux professions, fortes de ces succès partiels, veulent aujourd’hui aller chercher une certaine reconnaissance de la direction et surtout de nouvelles avancées salariales après huit ans de gel des salaires à la SNCF.
Les revendications des contrôleurEs et des aiguilleurEs sont-elles si différentes ?
Sur le fond les revendications sont identiques, reconnaissance du métier, de ses spécificités, de la pénibilité. Tout ça avec en toile de fond la question des salaires.
Tout comme les salariéEs des raffineries, les cheminotEs n’ont pas digéré le recul de l’âge de la retraite. Dans l’esprit de beaucoup il est inconcevable de travailler jusqu’à 64 ans, d’où l’idée d’aller chercher des mesures spécifiques par métier puisque le mouvement d’ensemble n’a pas permis de gagner.
Il existe aujourd’hui dans les chantiers une sorte de leitmotiv : « On ne veut pas diluer nos revendications avec d’autres ». Cette impression d’être plus fort autour de l’identité métier est très présente et elle est accentuée par les multiples réorganisations qu’a connues la SNCF.
Aujourd’hui unE contrôleurE et unE aiguilleurE n’ont plus les mêmes patrons. Le premier dépend de la Société Anonyme (SA) Voyageurs, tandis que le second a pour employeur la SA Réseau. Je serai tenté de dire à chaque patron sa grève.
Pourquoi la direction veut-elle négocier pour l’ensemble des salariéEs et agentEs de la SNCF ?
Jean-Pierre Farandou est bien conscient que la situation sociale est explosive avec les JO dans un futur proche. Il doit solder l’ardoise laissée par Guillaume Pépy et ses huit années d’austérité salariale. Pour cela, il compte négocier un nouveau « pacte social » tout en continuant à maîtriser la masse salariale. Cet objectif n’est pas compatible avec des négociations par métier. C’est ce qui explique, malgré la très forte mobilisation des contrôleuses et contrôleurs que la direction ait préféré aller au conflit, avec toutes les conséquences pour les usagerEs, plutôt que d’envoyer un signal de faiblesse qui pourrait encourager d’autres catégories professionnelles à entrer dans l’action.
Comment les cheminotEs se sont-ils organiséEs pour ces deux grèves et quelles suites pensent-ils donner ? Quelles sont les difficultés qu’ils et elles rencontrent pour mobiliser ?
Pour les chefFEs de bord, l’appel à la grève est parti du Collectif national des ASCT (Agent du service commercial Train) en lien avec SUD-Rail. Cet appel a circulé via les réseaux sociaux et les structures militantes. Compte tenu de l’écho très favorable qu’a rencontré cet appel, la CGT et la CFDT ont elles aussi appelé à la grève, la CFDT levant son préavis trois jours avant le week-end.
Chez les aiguilleurEs la situation est un peu différente, le week-end d’action a été appelé uniquement par SUD-Rail malgré des sollicitations en direction des autres organisations pour un appel commun, la CGT a décliné, ayant appelé un mois auparavant à la grève sur des mots d’ordre quasi identiques.
Concernant les suites à donner à ces mouvements, il est clair que dans un monde idéal il faudrait pousser à une mobilisation de l’ensemble des cheminotEs mais de nombreux obstacles se dressent devant cette mobilisation. En premier, l’absence d’unité syndicale pèse lourdement dans la balance, et la situation ne devrait pas évoluer avant les élections aux conseils d’administration qui se dérouleront au printemps. En second lieu, il faudrait parvenir à tordre le coup à cette idée qu’on est plus fort entre collègues exerçant le même métier, que tout le corps social cheminot réuni.
Ce ne sera pas simple tant les différents métiers ont leurs propres identités et histoires. D’un métier à l’autre, il peut exister de très fortes disparités concernant le taux de syndicalisation par exemple ou être très présent le sentiment que ça ne sert à rien de faire grève car le métier n’a pas d’impact direct sur la circulation des trains.
L’enjeu pour les militantes et militants est, en lien avec les collègues, de réussir à trouver des revendications que toutes et tous veulent porter.
La direction est fébrile, pour preuve l’agressivité déployée dans les médias par les plus hauts dirigeants pour discréditer le mouvement des contrôleurs et contrôleuses. À l’approche des JO, on sent bien qu’on peut obtenir un juste retour pour les efforts consentis.
Comment penses-tu que la direction va se positionner dans la perspective des JO ?
Depuis plusieurs semaines la direction organise des « tables rondes JO » avec les représentantEs des organisations syndicales majoritaires pour tenter de déminer le terrain. Cependant, à la base les collègues sont très remontéEs et attendent avec impatience l’approche des JO. Le plus probable c’est que de nouvelles journées d’avertissement soient adressées à la direction d’ici au mois de juillet. Ce seront autant de coups de semonce avant une grève d’ampleur cet été, si aucune avancée n’est obtenue sur les deux principaux sujets : la pénibilité et l’aménagement des fins de carrière d’un côté et les salaires de l’autre. La marge de manœuvre existe, la SNCF va annoncer quasiment deux milliards de bénéfices pour 2023, les cheminotEs doivent en voir la couleur, sans quoi le trafic risque d’être perturbé.
Propos recueillis par la rédaction