Entretien. À l’occasion de la deuxième manifestation nationale contre les licenciements organisée samedi 19 juin à Paris, nous avons rencontré les camarades de la CGT-TUI, à l’initiative du collectif qui appelle à manifester samedi, après une première échéance le 23 janvier dernier.
Pouvez-vous revenir sur l’origine de votre combat ?
Isalia : On mène un combat acharné depuis près d’un an. 11 mois que l’on se bat contre un plan social qui nous a dévastés chez TUI. Pour rappel, TUI c’est le leader mondial chez les voyagistes, il y a plusieurs entités, nous sommes l’entité française du groupe TUI, avec plusieurs marques dont les plus connues sont Marmara, Lookéa, Nouvelles frontières, Aventuria, Passion des îles… Aujourd’hui on est donc face à un plan inhumain, contre lequel on se bat. La crise a commencé en mars 2020, et durant ces mois de crise, on était tous ébranlés c’est sûr, et tout le monde a été touché, mais chez TUI c’est la manière dont ce plan nous a été annoncé qui dépasse l’entendement : après plusieurs mois où les salariéE s étaient isolés chez eux, sans nouvelles de l’entreprise, sans nouvelles de leurs collègues, on a tous reçu un message nous invitant à nous connecter au plus vite à une visioconférence, et là on a vu notre PDG de l’époque, qui est parti depuis, qui était tranquillement au Maroc, confortablement installé sur son siège dans son riad, annoncer à 900 salariéEs un plan social d’une envergure jamais vue encore. Il nous a en effet annoncé la suppression de deux tiers des effectifs, soit plus de 600 postes.
Le premier sentiment ça a été l’incompréhension totale, on s’attendait depuis plusieurs mois à un plan social, on se disait que ça allait tomber, mais on ne s’attendait pas à ce que cela concerne autant de salariéEs. Ce sont plus de 600 familles qui sont mises à la rue, sans aucune considération. C’est aussi toute une expertise qui est exportée, délocalisée au Maroc. Tout cela alors que TUI a touché 5,5 milliards d’aides publiques…
Et donc depuis vous êtes en lutte, et vous essayez d’élargir votre combat, de ne pas être isoléEs, de créer des liens avec d’autres boîtes qui vivent le même genre de situation.
Isalia : On se bat pour dénoncer cette injustice, la tournure que prend cette crise, qui incite les patrons à se débarrasser de leurs salariéEs, en utilisant les aides pour le faire. Et personne ne dit rien, l’État ne contrôle rien. En plus TUI faisait des bénéfices, donc ce plan social est inconcevable. Au lieu d’attendre, d’être prudent, d’y voir plus clair sur la situation sanitaire, comme l’ont fait d’autres voyagistes, TUI a décidé d’aller très vite et de licencier des centaines de gens…
Et c’est comme ça qu’on a commencé notre combat : on a organisé des assemblées générales, des rassemblements, beaucoup de salariéEs sont venus, ont fait du bruit, et petit à petit on a été très contents de voir des salariéEs d’autres enseignes, et de syndicats CGT, venir à nos rassemblements, nous soutenir. Et on a compris que ce combat n’est pas que le nôtre, c’est le combat de toutes et tous, on parle de plus de 800 plans sociaux dans toute la France, avec des sociétés qui ont touché des aides de l’État, des directions qui nous voient comme des chiffres, sans aucune reconnaissance pour le travail que l’on a apporté, pour ce que nous sommes.
Tassadit : On s’est posé entre nous, on a discuté, et on s’est dit qu’il n’y avait pas d’autre choix que le combat. Et on voit bien aussi qu’on n’est pas les seuls, quand on regarde vers l’extérieur, on voit bien que beaucoup d’autres entreprises sont concernées, et c’est de là qu’est né l’appel des TUI. Ces plans sociaux touchent tout le monde, et donc il va falloir qu’on soit solidaires et qu’on construise la même lutte, pas juste chacun contre nos patrons, mais tous ensemble, aussi contre le gouvernement. Car l’État est complice, parce qu’ils touchent des aides publiques tout en licenciant. Chez TUI il y a eu quatre fois le renouvellement du chômage partiel alors qu’il y a ce plan social et que l’entreprise était bénéficiaire avant la crise, avec 1,5 milliard d’euros de bénéfices.
Et tout ça a débouché sur une première manifestation nationale le 23 janvier à Paris.
Djaffar : On en a parlé autour de nous, on a contacté la presse, on a contacté d’autres camarades, d’autres syndicats, en se disant qu’il fallait sortir de la logique de boutique syndicale pour relever la tête, ne pas subir. On nous dit que c’est comme ça, que c’est la crise, qu’il n’y a pas d’argent… Mais on sait très bien que c’est de la flûte, et ce ne sont pas que les aides de l’État, ce sont aussi les bénéfices de ces entreprises, dans lesquels elles pourraient puiser. Donc on a commencé à contacter des syndicats qui étaient en lutte, comme nous, et on s’est dit qu’il fallait qu’on construise une grande manifestation commune, qui irait vers les lieux de pouvoir, pas juste une manifestation République-Nation où après on rentre chez soi. Covid oblige, on a été obligé de s’organiser par des réunions Zoom, le dimanche, on a beaucoup travaillé, on a appelé pas mal de boîtes en lutte, jusqu’à une centaine de personnes, avec des gens du privé mais aussi du public, où il y a aussi des emplois qui disparaissent. Et ça a été la manifestation du 23 janvier, qui a permis d’exprimer cette rage qu’on avait au ventre, et ça a été un petit succès, avec entre 4 000 et 5 000 personnes.
On a un slogan qu’on ressort à chaque fois, c’est « On n’est pas des victimes ». On n’est pas à genoux, on ne pleure pas sur notre sort, on considère qu’il n’y a pas de fatalité, on doit mettre en place un rapport de forces. Alors on a en face de nous des gros groupes, qui ont des cabinets d’avocats avec eux, mais on ne renonce pas. On va continuer de se battre pour faire annuler ce plan social, et pour regrouper toutes celles et ceux qui se battent contre ces plans sociaux inhumains.
Isalia : Et la prochaine étape c’est le 19 juin, au Medef. Et c’est le combat de toutes et tous : aujourd’hui c’est nous, demain ce sera vous, donc il faut tous être là contre ces plans sociaux qui sont de l’abattage, on est traitéEs comme des animaux. Et pour nous le combat dure depuis plus d’un an, mais il ne fait que commencer.