La Fabrique, 160 pages, 2022, 13 euros.
Alors que semble revenu le temps des aménageurs fous qui mettent Paris sous la pression des « grands événements » comme les Jeux olympiques, le livre Paris quand même de Jean-Christophe Bailly semble fiché là, fixant un cap face aux ravages attendus comme un amer dans la tempête annoncée.
Qui ne marche pas n’aime pas Paris
D’emblée placé sous la douce autorité de Jean-Jacques Rousseau, l’ouvrage est une savante divagation au gré des quartiers, au fil des petites et grandes destructions, de Haussmann à Pompidou, des rénovations excessives, des récupérations par les riches entrepreneurs ou rentiers et de la dévitalisation urbaine qui en résulte.
Adossée à une bibliothèque impressionnante, la promenade est populaire mais littéraire, et les alliés convoqués par l’auteur pour la défense et l’illustration de ce Paris célébré ont pour nom Walter Benjamin, Charles Baudelaire, Victor Hugo. Dans la droite ligne de celui-ci, fustigeant dans Notre-Dame de Paris le parti des architectes, les tenants du bon goût, Jean-Christophe Bailly tire à vue, de sa plume acérée, de son canon de fleurs sauvages...
Et l’histoire dans tout ça ?
Explicitement opposé à une démarche patrimoniale, l’auteur se place certes dans une perspective historique, mais d’une histoire vivante, vivace, qui surgit au détour d’un vestige, au coin d’une rue, au bout d’une allée, car dit-il « les espaces construits les plus émouvants sont ceux où le rêve qui les souleva et leur donna forme continue d’agir ». Ainsi en va-t-il des arènes de Lutèce, œuvre de l’empereur Julien, qui résonnent au quotidien des cris et des jeux d’enfants, du Jardin des plantes où celles-ci croissent en regard du bâtiment d’où on les étudia pour la science, qui lui-même affiche en façade le nom de ses savants.
Et bien sûr les places ! La place Danube au cœur des tensions urbanistiques qui opposent la Mouzaïa des maisonnettes accolées, la place des Fêtes victime des années 1970 et de la vision de la ville moderne du président Pompidou — qui n’a pas tout réussi comme Beaubourg — et la naissance de la banlieue qui prend ici son essor au-delà du périph... La place des Vosges, dont il voudrait libérer le square et la perspective afin de rendre la vue sur les arcades !
Et les marchés ! Ils donnent à l’auteur matière à conclusion, et l’occasion de chuter sur le point de vue de classe qui traverse l’ouvrage de part en part, y compris sous la forme d’une insurrection, certes imaginaire, qu’il appelle de ses vœux et qui sied si bien à la ville !