Le système actuel était déjà très défavorable aux femmes retraitées puisqu’elles touchent en moyenne 40% de moins que les hommes essentiellement à cause des inégalités de salaire et de carrière. La réforme telle que prévue aujourd’hui par le gouvernement aura des conséquences dramatiques pour tout le monde et encore plus pour les femmes. C’est pour cela que la bataille contre cette réforme doit être prise en charge spécifiquement par le mouvement féministe.
Les mécanismes d’aggravation des inégalités
La modification de la durée sur laquelle est calculée le montant de la retraite aura un impact majeur. Aujourd’hui, sont prises en compte les 25 meilleures années dans le privé et les 6 derniers mois dans le public ce qui a pour effet d’annuler au moins partiellement l’impact des plus mauvaises périodes (chômage non indemnisé, précarité, etc.), des interruptions de carrières liées aux enfants, d’une partie des années à temps partiel qui sont à 80 % pris par les femmes... Le calcul sur l’ensemble de la carrière va mécaniquement entraîner une diminution des retraites de tous mais les inégalités de salaires en défaveur des femmes seront décuplées par les inégalités de carrière.
Afin d’amortir un peu la baisse des pensions pour les fonctionnaires, le gouvernement a annoncé l’intégration des primes au calcul. Cette question-là aussi concerne en tout premier lieu les femmes puisqu’elles représentent la majorité des effectifs des fonctionnaires : 78 % dans la fonction publique hospitalière, 61 % dans la territoriale, 55 % dans celle d’État. Mais on sait déjà non seulement que l’intégration des primes ne suffira absolument pas à compenser la perte, mais qu’en plus cela aura l’effet pervers de défavoriser encore plus les femmes qui touchent globalement des primes moins importantes que les hommes, lorsqu’elles en touchent.
Jusqu’à présent, des mécanismes de compensation de l’impact des enfants sur les carrières étaient prévus sous la forme de 4 trimestres considérés comme cotisés pour les mères + 4 trimestres attribués par défaut aux mères (sauf si demande explicite d’attribution au père) et 10 % de majoration au 3e enfant. Ce dispositif serait remplacé par une majoration de 5% des pensions par enfant. Un des problèmes est que les pourcentages défavorisent les plus faibles revenus, donc en premier lieu les femmes les plus pauvres. Il est à craindre que les couples choisissent l’attribution de la majoration au père, avec pour conséquence une perte pour les femmes en cas de séparation. À cela s’ajoute que la disparition des majorations de durée d’assurance va automatiquement entraîner une baisse de la pension versée à âge de départ égal.
Quant aux pensions de réversion, qui bénéficient à 90% aux femmes, la réforme prévoit de reculer l’âge d’ouverture de ce droit, de le supprimer pour les personnes divorcées ou remariées, ne prévoit pas de l’étendre aux personnes pacsées. De plus, le nouveau mode de calcul va entraîner une baisse de son montant d’autant plus importante que les revenus du couple étaient similaires.
Enfin, si on regarde ce qui se passe pour les régimes complémentaires, on peut déjà prévoir que le passage d’un système par annuités à un système à point sera défavorable aux femmes puisque l’AGIRC verse aux femmes des pensions égales à 40% des celles des hommes et l’ARCO à 60% alors que pour l’ensemble des régimes le rapport est de 75%.
Construire la mobilisation féministe contre la réforme des retraites
Les femmes représentent déjà 70 % des allocataires isolées du minimum vieillesse. Avec la réforme prévue par le gouvernement cette part ne pourra qu’augmenter, et de manière générale le nombre de retraitéEs touchant des pensions de misère va exploser. Celles et ceux qui le pourront se tourneront vers des complémentaires et la capitalisation, favorisant le développement des fonds de pensions et autres banques privées. En plus des baisses qui vont les impacter directement, on sait que ce sont les femmes qui sont en première ligne dans les situations socialement dégradées : prise en charge des membres de la famille en difficultés (conjoint, parents…) et gestion du quotidien (courses, repas, tâches domestiques…) qui sont en très grande partie à leur charge, se retrouvent compliquées par les difficultés économiques. Il y a donc un enjeu particulier pour les femmes à faire obstacle à cette réforme.
D’autre part, à travers les conséquences de la réforme, c'est bien la question du travail des femmes qui se posent, travail salarié et travail domestique. En effet, pour parvenir à l’égalité des pensions, il faudrait l’égalité de salaires et de carrières. Il faut donc des mesures pour contraindre les entreprises et l’État à réduire à 0 les inégalités salariales d’une part, et d’autre part s’attaquer aux mécanismes profonds qui jouent sur les carrières. Sur ce dernier point, il faut à la fois que la répartition des tâches ménagères et en particulier la prise en charge des enfants soient équitablement répartie et que la ségrégation des métiers féminins versus masculins soit brisée, que les métiers dits féminins soient revalorisés, etc. Il s’agit d’obtenir une égalité réelle dans le monde du travail et dans la sphère familiale et pas seulement une égalité formelle. Pour cela, une mesure indispensable serait une réduction massive du temps de travail qui permette la socialisation des tâches nécessaires individuelles (ménage, repas…) et collectives (éducation des enfants, prise en charge des personnes en perte d’autonomie…). L’enjeu est de taille puisque toutes ces tâches effectuées gratuitement dans le cadre de la famille représentent plusieurs centaines de milliards d'euros en France, soit environ 1/3 du PIB.
Nous sommes manifestement dans une période de construction d’une nouvelle vague féministe dans le monde, avec comme élément fédérateur la lutte contre les violences. Là aussi il s’agit d’aller au-delà de l’égalité formelle, de remettre profondément en cause l’oppression des femmes en s’attaquant à un de ses piliers, la violence physique. Le lien entre ce mouvement et les problématiques liées au monde du travail est important notamment parce que l’autonomie économique des femmes est une condition essentielle pour s'extraire des violences. La réforme des retraites prévoit l’exact inverse.
Mais ce point est aussi essentiel parce que si en finir avec l’oppression des femmes ne pourra se faire sans se débarrasser du système capitaliste, il est essentiel de comprendre que se débarrasser du capitalisme ne se fera pas sans saper un des piliers sur lequel repose aujourd'hui le capitalisme comme le démontre le poids du travail gratuit réalisé essentiellement par les femmes dans l'économie mondiale (70 % environ): le patriarcat.
Le mouvement féministe en France doit donc se saisir urgemment de la question des retraites et prendre toute sa place dans la mobilisation à construire. La radicalité dont il fait preuve rend cela plus que possible. Il peut et doit être une composante importante pour pousser à la mobilisation, en particulier des femmes, en particulier dans la fonction publique et dans la jeunesse. Parce qu’il est moins verrouillé par les organisations que le mouvement ouvrier traditionnel, il peut impulser des formes de mobilisation et des rythmes plus en phase avec les nécessités du rapport de force à établir pour gagner face au gouvernement. L’enjeu dans les semaines à venir est majeur : construire la mobilisation pour empêcher la destruction du système de retraites pour touTEs, faire obstacle à l'aggravation des inégalités pour les femmes en particulier, et plus généralement pour engranger une victoire afin d’inverser la tendance à la dégradation du rapport de force et, à cette occasion, renforcer les liens entre mouvement féministe et lutte des classes.
Elsa Collonge