Le 4 avril 1968, il y a 50 ans, Martin Luther King était assassiné à Memphis. Il avait 39 ans. Son nom est associé à la lutte anti-ségrégation au cours des années 1950 et 60, époque où les Noirs menèrent de grands mouvements pour leurs droits civiques.
L’événement fondateur du mouvement pour les droits civiques eut lieu en 1955, lorsque Rosa Parks, militante anti-ségrégationniste de longue date, refusa cette fois de céder sa place à un Blanc dans un bus à Montgomery, en Alabama. Elle fut arrêtée. C’est alors qu’un mouvement de boycott des bus fut lancé. 50 000 Noirs de la ville se débrouillèrent comme ils pouvaient pour se déplacer, mais aucun ne prit le bus. Pendant plus d’un an, 381 jours précisément. Les Noirs montrèrent à cette occasion que la peur était en train de les quitter. Les Blancs de la ville n’en revinrent pas, pas plus que les militants de la cause noire d’ailleurs. Le pasteur Martin Luther King, excellent orateur, officiait à Montgomery à cette époque, et il fut élu à la tête de l’association qui dirigea cette campagne de boycott. Elle obtint finalement la victoire, avec la décision de la Cour suprême d’interdire la ségrégation raciale dans les bus de Montgomery.
Ce fut la première action d’envergure, avant beaucoup d’autres qui marquèrent ces années-là. A partir de 1961, dans les « Voyages de la liberté » (Freedom Rides), des jeunes Blancs et Noirs se mélangeaient, prenaient les mêmes bus ensemble vers le Sud et utilisaient les salles d’attente, les cafétérias ou les toilettes sans tenir compte des restrictions raciales, pour défier la ségrégation. Une autre action emblématique est celle de Selma, dans l’Alabama, pour faire respecter le droit de vote des Noirs qui avait été obtenu par la loi, mais qui était loin d’être appliqué. Sur 15 000 adultes noirs de la ville, seuls 335 avaient réussi à s’inscrire et les Blancs, minoritaires, constituaient pourtant 99 % de l’électorat. Le gouverneur de l’Alabama, Wallace, un raciste notoire, défendait bec et ongles la ségrégation. Le shérif fit donner la police lors d’une manifestation où un jeune Noir fut tué en 1965. Les manifestants étaient piétinés par les chevaux, pourchassés, matraqués. A la vue de ces images, une vague d’indignation souleva tout le pays.
Qui était donc ce pasteur Martin Luther King, dont le FBI a salué l’engagement le 4 avril 2018 ? Ce même bureau qui l’appelait en 1963 « le nègre le plus dangereux pour l’avenir de cette nation en ce qui concerne le communisme, le Nègre et la sécurité nationale ». Le communisme, c’était beaucoup dire. Cependant, Martin Luther King évolua dans ses opinions. Au départ adepte de la non-violence, il était réformiste et croyait dans la vertu des négociations avec les autorités. Et puis au fil des années, il prit conscience des limites de sa politique, notamment après Selma, quand il déclara : « avec Selma et la loi sur le droit de vote, une époque de notre lutte est arrivée à sa fin. Une nouvelle ère est en train de naître. Désormais notre lutte est consacrée à une égalité authentique, ce qui signifie une égalité économique. Parce que nous savons qu’il n’est pas suffisant d’intégrer [de déségréguer] les comptoirs où nous mangeons à midi. En quoi cela profite-t-il à quelqu’un de pouvoir manger à un comptoir intégré s’il ne gagne pas suffisamment d’argent pour acheter un hamburger et une tasse de café ? »
Il conclut de ses réflexions que le problème était l’économie capitaliste, et prit également position contre la guerre du Vietnam. A la fin de sa vie, il organisait une campagne en faveur des pauvres et appelait à une grève générale. C’est d’ailleurs en allant soutenir une grève des éboueurs noirs à Memphis qu’il se fit assassiner.
« Je pense qu’il est nécessaire de réaliser que nous sommes passés de l’ère des droits civiques à celle des droits humains. Nous voyons qu’il faut redistribuer radicalement le pouvoir économique et politique. Pendant ces 12 dernières années, nous avons été dans un mouvement de réformes. Après Selma et la loi sur le droit de vote, nous sommes entrés dans une nouvelle ère, qui doit être une ère de révolution. » Cette affirmation de Martin Luther King résonne encore aujourd’hui, au moment où tant de jeunes Africains-Américains tombent toujours sous les balles de la police.
Régine Vinon