« Ouvriers et étudiants, tous unis dans la lutte. » Ce slogan synthétisait les contenus parallèles et communs entre l’agitation des étudiantEs dans les universités et des ouvrierEs dans les usines : analyse et critique de l’autoritarisme à l’école et à l’usine et dans les autres institutions de la société, définition de la condition étudiante comme force de travail en formation, invention ou réinvention des instruments d’organisation et de lutte par en bas, comme les groupe d’études et de travail, l’élection des déléguéEs par les assemblées ou par des équipes homogènes dans les usines, l’interruption des cours et les cortèges internes dans les ateliers. Le mal-être se répandait dans les usines, parmi les jeunes ouvriers sans qualification, en provenance des campagnes du sud et du nord du pays, embauchés le plus souvent sur les chaînes de montage.
Plusieurs épisodes signalent le premier rôle joué par cette « nouvelle » classe ouvrière dans les luttes. Le 8 octobre 1966, à Trieste, au cours d’une manifestation contre un plan de fermeture de plusieurs établissements et usines, les manifestantEs affrontèrent la police, érigeant des barricades pour empêcher l’arrivée des cars de police, répondant par des pierres aux tirs de grenades lacrymogènes. À Gênes, trois jours plus tôt avait eu lieu une grève générale citoyenne contre la politique du gouvernement concernant l’avenir des chantiers de construction navale, pendant laquelle eurent lieu de violents incidents, avec la participation de nombreux jeunes non organisés dans les syndicats ou les partis politiques. Deux ans après, à Valdagno, au cours d’un violent conflit entre les ouvriers et la propriétaire de l’usine Marzotto, le 19 avril 1968, se déroulèrent d’importants affrontements.
À Porto Marghera, complexe pétrochimique proche de Venise, et à la Fiat de Turin, ce sont les jeunes travailleurEs qui ont relancé la lutte. Le 7 mars 1968, à Turin, à la Fiat, la grève à l’appel de la CGIL remporta un succès grâce aux jeunes ouvriers qui entraînèrent dans la luttes les plus anciens et les indécis. Un correspondant turinois du journal La Sinistra (La Gauche), écrivait, le 16 avril : « Les jeunes ouvriers ont joué presque partout un rôle d’avant-garde, ils ont organisé les piquets, et entraîné derrière eux tous les autres ouvriers et la classe ouvrière plus ancienne ».
En 1968, tandis que la révolte des étudiantEs battait son plein, dans les usines, un profond malaise était déjà plus que jamais évident parmi les jeunes ouvrierEs. Un malaise qui, comme l’écrivait Giorgio Bocca, dans le quotidien Il Giorno en juin 1968 concernait toute « l’organisation du travail, les méthodes de la lutte de classe, les instruments de cette politique ». Même lorsque l’accord obtenu par les syndicats contenait des aspects satisfaisants, se poursuivait, selon le journaliste, une situation de prédisposition à la lutte qu’aucune augmentation salariale ne pouvait atténuer; la lutte leur avait fait découvrir le goût de l’action, l’expérimentation d’un pouvoir d’opposition contre les chefs, « l’égalité dans les heures chaudes, le fait de ne plus craindre l’organisation ». Toutes expériences qui se révélèrent très utiles et précieuses, lorsqu’éclata le conflit ouvrier dans les usines, l’année suivant 1968 ; conflit passé à l’histoire sous le nom d’« automne chaud ».
Diego Giachetti, traduction Thierry Flamand.