Refouler les révolutions asiatiques n’est pas le seul objectif de l’intervention US au Vietnam. Derrière Pékin, Moscou est aussi visée. Washington veut en finir avec la configuration des « blocs » qui domine depuis la Seconde Guerre mondiale la scène internationale. L’enjeu est de taille : permettre au capital impérialiste de pénétrer à nouveau les immenses territoires du « bloc de l’Est ».
Bien que localisé sur l’Indochine, le conflit vietnamien n’est pas une guerre locale, ni même régionale. Sa portée est proprement mondiale, avec en corollaire le fait que toutes les contradictions de la situation internationale s’y réfractent, conditionnant les données du combat de libération : état du mouvement ouvrier et progressiste en Europe et aux États-Unis, des solidarités ; ouverture (ou non) de nouveaux fronts révolutionnaires dans le tiers monde ; ambivalences de la diplomatie moscoutaire ou pékinoise… Car ambivalences, il y a.
Il n’y a pas équivalence simple entre le « camp révolutionnaire » et le « camp soviétique ». Autant la confrontation « Est-Ouest » est bien réelle, autant l’impérialisme peut jouer sur les intérêts propres de la bureaucratie soviétique (et plus tard de la bureaucratie chinoise) pour faire pression à des moments décisifs sur des mouvements de libération. Les partis communistes asiatiques l’ont très tôt appris à leurs dépens. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, avec les accords de Yalta et de Potsdam, Moscou accepte que la Chine et le Vietnam restent au sein de la sphère de domination occidentale. Ni le PC chinois ni le PC vietnamien ne respecteront ce partage du monde négocié secrètement dans leur dos avec les USA et la Grande-Bretagne.
En 1954, Moscou et Pékin agiront cette fois de concert pour forcer le PCV à accepter, lors des négociations de Genève, un accord qui est très loin de refléter la réalité des rapports de forces sur le terrain et qui porte en germe une nouvelle guerre : la guerre américaine, la plus terrible de toutes. Les Vietnamiens tirent les leçons de cette amère expérience : une quinzaine d’années plus tard, ils refuseront la participation des « grands frères » sino-soviétiques aux négociations de Paris, réduites à un tête-à-tête avec Washington et d’où sortiront les accords de 1973, des accords cette fois gagnants.
Divisions et contradictions
La géopolitique mondiale est devenue encore plus complexe avec l’émergence du conflit sino-soviétique au milieu des années 1960, Pékin n’acceptant pas que Moscou ait négocié dans son dos un accord nucléaire avec Washington. Le schisme qui brise de l’intérieur le « bloc de l’Est » représente un véritable casse-tête pour le PCV qui a besoin de l’aide des deux capitales rivales du mal nommé « camp socialiste ». En revanche, c’est une aubaine pour les États-Unis, qui vont pouvoir surfer sur cette nouvelle contradiction. Cet atout ne leur permet pas d’éviter la débâcle de 1975, mais il s’avérera maître les années suivantes avec la formation d’une alliance USA-Chine-Khmers rouges visant à prendre le Vietnam en tenailles.
Tout ceci ne doit évidemment pas faire oublier que l’aide fournie par Moscou et Pékin à Hanoï durant la guerre étatsunienne est très importante tant sur le plan économique que militaire. L’URSS et la Chine savent fort bien qu’elles sont visées par l’intervention US au Vietnam. Victorieux, les États-Unis auraient été en position de pousser l’avantage. L’aide sino-soviétique a donc été l’un des facteurs de la résistance vietnamienne. Considérable, elle n’en reste pas moins politiquement mesurée pour ne pas mettre en danger les possibilités de dialogue avec Washington : les missiles capables de protéger le ciel du Nord Vietnam des bombardiers B52 ne sont pas fournis, l’offre d’un compromis (pourri) est maintenue. Mais simplement le PCV n’en veut pas...