Interview de Stacey, militante au sein du collectif « Docs not cops » (« Médecins, pas flics ») étudiante en médecine, militante à Revolutionary Socialism in the 21rst Century (RS21) Propos recueillis en novembre 2016 et traduits de l'anglais par Tiziana Loup.
Qu'est-ce que le collectif « Docs not cops » ? Par qui a-t-il été créé, quels ses objectifs ?
Le collectif a été fondé par Act Up Londres, une association qui défend l'accès aux soins, les droits des personnes LGBT, des personnes séropositives, et aussi l'accès aux soins pour les migrant.e.s. Le collectif a été créé en réaction à la Loi Immigration (Immigration Act) en 2014, avec la volonté de réunir militant.e.s et travailleuses/eurs de la santé. C'était des premières manifestations de solidarité avec les migrant.e.s, qui a pris de l'ampleur depuis. La Loi Immigration impose aux migrant.e.s de payer pour avoir accès aux soins ; elle implique aussi que les propriétaires peuvent demander à vérifier le statut migratoire de leurs locataires ; les critères pour obtenir un titre de séjour permanent ont changé.
Qu'est-ce que la Loi Immigration change pour les personnes migrant.e.s ?
Cette loi a remis en cause l'accès universel aux soins. Avant la loi, tout le monde pouvait être soigné.e gratuitement par le NHS (national health system). La loi Immigration met en place un système à deux vitesses en obligeant les migrant.e.s à payer pour les soins. Les personnes qui ne peuvent payer se retrouvent confrontées à des agents de recouvrement. Il y a en fait un système compliqué d'exemption et de critères : si vous venez d'un pays de l'Union européenne, vous avez accès aux soins si votre pays d'origine a signé un accord avec le Royaume-Uni, si vous venez d'un pays hors-UE vous devez payer. Si le traitement est considéré urgent vous payez après avoir reçu les soins, sinon vous devez payer avant. Il y a des exceptions, pour les personnes en détention, pour la délivrance de contraception, pour certaines infections (pour des raisons de santé publique), et aussi pour les personnes victimes de crimes, par exemple de trafic d'êtres humains – mais dans ce cas les personnes doivent prouver qu'elles ont bien été victimes, et elles ne sont soignées que pour les problèmes de santé qui y sont directement liés.
Comme ce système est très compliqué, le personnel du NHS ne le maîtrise pas, et des personnes qui ne devraient pas payer reçoivent quand même des factures. Ça aboutit en fait à une discrimination raciste, si vous n'avez pas l'air d'être britannique on vous demande de payer. La loi Immigration amène les gens à renoncer à se soigner. On sait par exemple qu'il y a des cas où des femmes sans papier, enceinte, ont renoncé à un suivi médical par crainte des répercussions sur leur statut migratoire, et parce qu'elles n'auraient pas pu payer. C'est dramatique, mais c'est aussi absurde d'en arriver là d'un pont de vue financier, puisqu'un accouchement à l'hôpital sans suivi médical antérieur coûte beaucoup plus d'argent. La justification économique de cette loi ne tient pas la route : les soins facturés aux migrant.e.s représentent 1 % du déficit du NHS, c'est ridiculement petit. Au delà de l'économie, il s'agit aussi de savoir quel système de santé on veut : nous nous battons pour l'accès aux soins universel.
« Doc not cops » est-il lié aux organisations syndicales du secteur de la santé ?
L'adhésion au collectif est individuelle, mais de nombreux membres sont aussi syndiqué.e.s. Au sein de nos organisations syndicales, on pousse à ce que des motions soient votées, à ce que les syndicats s'opposent à loi Immigration. En juin 2016, la Medical association (organisation professionnelle des médecins?] a adoptée une motion au sujet de la loi Immigration, en annonçant qu'elle produira sa propre analyse des conséquences de la loi en termes d'égalité d'accès et de discrimination. La question de la loi Immigration commence à être traitée par les directions. Auparavant, les syndicats étaient réticents à affirmer que les soins doivent être gratuits pour tout le monde, un certain nombre de militant.e.s sont toujours convaincu.e.s que les soints doivent être gratuits pour celles et ceux qui ont « contribué », mais en comprenant la contribution en un sens étroit, en gros au sens d'avoir la citoyenneté britannique. Nous on pose la question : qu'est-ce que ça veut dire contribuer à la société ? Est-ce que c'est avoir un emploi, élever des enfants, contribuer à l'économie ?
Est-ce que les travailleuses/eurs du NHS ont été réceptifves/ifs au discours de Farage (leader du UKIP, parti d'extrême-droite) accusant les migrant.e.s et l'Union européenne d'être responsables du déficit du NHS ?
Oui, malheureusement. A différent degrés : au moment du Brexit beaucoup de gens étaient convaincus que l'argent dépensé pour l'UE serait utilisé pour le NHS, mais c'était une supercherie. Il y avait aussi l'idée que le NHS représente les valeurs britanniques, et que combler le déficit du NHS c'était retrouver une fierté nationale. En fait, le déficit du NHS est dû à l'austérité et à la privatisation des services de santé, mais ce que beaucoup de gens croient, c'est que ce sont les migrant.e.s qui ruinent le NHS. Et en même temps cette vision rend compte, d'une façon déformée, d'une réalité : le NHS accueille, ou accueillait jusqu'à la loi Immigration, tout le monde, quelque soit votre origine, que vous ayez des papiers ou non.
Est-ce que tu peux en dire plus sur la privatisation et les coupes budgétaires dans le secteur de la santé ?
Actuellement le secteur de la santé n'est pas complètement privatisé, ça ne fonctionne pas comme un marché proprement dit mais comme une distribution de subvention de l’État aux différents établissements, qui sont en concurrence entre eux pour obtenir des financements.Sous le gouvernement travailliste le financement du NHS était plus important, mais actuellement le déficit se creuse car l’État a réduit les subventions du secteur. Au moment de l'alternance les indicateurs ont viré au rouge et de nombreux hôpitaux sont maintenant en déficit. Il faut bien comprendre que ce déficit a été créé de toute pièce par la baisse des dotations de l’État. Ça a créé une dépendance des hôpitaux envers les fondations privées qui les financent, des fondations qui exigent des coupes budgétaires et des restructurations. En plus de cela, certains décisions financières ont aggravé le problème, en particulier la construction de nouveaux bâtiments financée par des hypothèques très lourdes.
D'autre part, de plus en plus de services sont externalisés, on assiste à une privatisation qui avance masquée. Les services du NHS sont mis en concurrence avec des entreprises privées pour la fourniture de certains soins. Les entreprises peuvent utiliser les infrastructures du NHS pour leur activité, dont elles tirent des profits.Souvent, les services externalisés sont quand même labellisés « NHS », donc les gens ne savent même pas qu'ils ont affaire à un service privé. Mais quand il y a de complications, les entreprises renvoient les patients vers le secteur public, qui supporte les coûts. Donc évidemment pour les entreprises c'est un bon investissement.
Le dernier élément c'est la centralisation de services, par exemple des services de pédiatrie, ou d'obstétrique. Des femmes en travail peuvent faire 60, 80 km pour aller accoucher à l'hôpital. C'est terrifiant d'en arriver là. De même pour les services des urgences, ils ont été centralisés, et des centres de premiers secours ont été mis en place. Mais le problème c'est que ces centres sont peu équipés, ils ne peuvent pas traiter tous les types de pathologies ou d'accidents, et donc ils renvoient les patient.e.s vers les urgences centrales. Au final ça accroît le nombre de patient.e.s qui se retrouvent aux urgences.
Comment l'austérité dans le secteur de la santé affecte les droits reproductifs ? En France, la politique de réduction des coûts et de centralisation a aboutit à la fermeture d'une maternité sur dix en 10 ans, ce sont autant de centres IVG fermés. En est-il de même en Grande-Bretagne ?
Des maternités sont fermées en Grande-Bretagne aussi, souvent la justification est qu'il est difficile de recruter des médecins spécialisé.e.s en obstétrique, mais en fait la vraie raison est que ce sont des services très coûteux : il y a besoin de beaucoup de personnel, et les jours où la maternité ne tourne pas à plein régime vous avez du personnel « en surplus ». En ce qui concerne les centres IVG, ils sont généralement gérés par des association, et même si ce sont des organisations à but non lucratif, on s'inquiète quand même des conséquences pour les femmes en termes de sécurité. Il y a eu plusieurs cas de pratiques risquées, les associations ne sont pas soumises aux mêmes contrôles que les services du NHS. Par ailleurs ça n'est pas anodin que les centres IVG aient fait partie des premiers services a être externalisés. En 2007 le gouvernement travailliste avait engagé une consultation avec des professionnel.le.s de santé pour envisager de faire payer les femmes pour l'accès à la contraception, heureusement ça n'est pas allé plus loin. Mais on fait face actuellement à un mouvement international de remise en cause du droit à l'avortement, on l'a vu récemment en Pologne, ça n'est pas exclu que ça revienne sur la table ici.