« Canons à vendre », l’apostrophe de Boris Vian dans sa chanson Le petit commerce va comme un gant à François Hollande parti début mai, en bon voyageur de commerce à l’échine souple, marchander sa diplomatie contre des contrats du Qatar à Cuba en passant par l’Arabie saoudite et les dernières colonies de la France aux Antilles...
Les affaires...
Doha, la capitale du Qatar, a été la première étape du périple pour assister à la signature du contrat de vente de 24 Rafale. Ce contrat de 6,3 milliards d’euros porte à 80 le nombre de Rafale vendus depuis le début de l’année. Hollande a, au passage, souligné les motivations de la diplomatie française au Moyen-Orient : « Si nous sommes présents ici au Qatar (...) c’est d’abord parce qu’il y a une longue tradition, et ensuite parce que la France est regardée comme un pays fiable, à qui il est possible de donner sa confiance pour un pays partenaire. Et c’est cette constance, cette fiabilité, cette crédibilité qui nous permet d’avoir maintenant, avec nos partenaires – aujourd’hui le Qatar, hier d’autres pays, l’Egypte, l’Inde, demain d’autres pays encore – une confiance qui se traduit par un contrat important pour le Rafale. » Dans la foulée, d’autres contrats suivront sur la formation de 36 pilotes et d’une centaine de mécaniciens ou l’instruction d’officiers de renseignement... Avec aussi des contreparties favorables au Qatar, en particulier « pour l’attribution de lignes aériennes ».
D’autres contrats sont attendus avec l’Arabie saoudite, où Hollande était invité pour participer au sommet des six pays du Conseil de coopération de Golfe rassemblant les dirigeants arabes sunnites des pétromonarchies, Arabie saoudite, Qatar, Oman, Koweït, Emirats arabes unis et Bahreïn. Ces alliés traditionnels des USA sont en froid avec leur maître. Ils craignent un changement de politique de sa part parce qu’il cherche à associer l’Iran à sa stratégie en Irak et en Syrie. Les USA ont besoin d’un nouvel allié pour maintenir l’ordre dans la région face au chaos provoqué par leurs propres interventions et celles de leurs alliés. Les pétromonarchies font monter les enchères pour s’imposer comme principales puissances contre l’Iran.
Des armes pour les guerres
La France les soutient pour pouvoir négocier sa place dans le jeu des grandes puissances et… des contrats pour Dassault, Thalès & Co... Il y aurait en perspective vingt contrats dont le montant est évalué par Laurent Fabius à « plusieurs dizaines de milliards d’euros ».
Au Moyen-Orient, « nous travaillons à trouver des solutions politiques, à appuyer également des opérations lorsqu’elles sont nécessaires sur le plan militaire », dixit Hollande. Oui, la diplomatie de la France vend des armes pour mener des guerres dans lesquelles elle s’implique directement ou indirectement. Les avions de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite pour intervenir au Yémen, un des pays les plus pauvres du monde, répandent la terreur et la mort contre les Houthis. Plus de 1000 morts civils depuis le début de son offensive commanditée en sous-main par Washington.
Et bien sûr, pas un mot de critique de la part de Hollande sur ces monarchies théocratiques qui appliquent la peine de mort, au sabre et sur la place publique – 78 décapitations depuis janvier en Arabie saoudite où le gouvernement vient de faire passer une annonce pour recruter huit bourreaux –, sanctionnent le blasphème de 1000 coups de fouet, nient les droits les plus élémentaires des femmes comme des travailleurs.
« Argent oui, morale non ! »
L’ami de la monarchie wahhabite a poursuivi sa tournée par les dernières colonies de la France dans les Caraïbes, les îles de Saint-Barthélemy, Saint-Martin, la Martinique, la Guadeloupe, puis Cuba avant de faire escale à Haïti. Ce premier voyage d’un chef de l’État français depuis l’indépendance de Cuba en 1898 a eu lieu grâce au bon vouloir des USA, pour le seul bénéfice de la trentaine de patrons qui l’accompagnaient et veulent profiter de la levée de l’embargo. Avec en toile de fond l’Amérique Latine et ses opportunités...
A Pointe-à-Pitre, Hollande a inauguré le Memorial ACTe en mémoire des crimes atroces de la traite et de l’esclavage, en déclarant que la France s’acquitterait de sa dette envers Haïti, les 159 millions de francs qu’en 1825 la France a contraint Haïti à payer pour indemniser les colons après la conquête de l’indépendance en 1804. Mais pour lui, il ne s’agit que d’une « dette morale », alors qu’elle a ruiné le pays qui en porte toujours les stigmates.
Ce à quoi des manifestants ont répondu, « Argent oui, morale non ! » Cette dette, tout comme celle de l’ensemble des pays, semi-coloniaux ou impérialistes, ne pourra être réglée qu’à travers la réappropriation par les classes et peuples exploités des richesses qui leur ont été volées, pour en finir avec ce monde qui engendre la misère, le chaos, la guerre au profit des marchands d’armes et de leurs acolytes.
Yvan Lemaitre