Depuis le 19 mars, l’Iran subit des inondations sans précédent. Ce jour-là, la province du Golestân, située au nord-est du pays s’est trouvée rapidement inondée à la suite des pluies intenses en faisant une quinzaine de morts. Trois jours plus tard, lors des fêtes du nouvel an iranien, le sud du pays, en particulier la ville historique de Chiraz a été inondée.1 cite un ancien responsable iranien de l’environnement, exilé à Londres : « L’Iran connaît une perpétuelle gouvernance de crise. Tout est réactif, rien n’est anticipé. On réagit lorsque les problèmes apparaissent. On saute d’une crise à l’autre. Le temps ou les ressources manquent toujours pour planifier ». Ces inondations ont montré, une fois de plus, l’envergure des dégâts et des désastres causés par la République islamique pendant 40 ans dans un pays qui possède un potentiel humain et matériel gigantesque, qui aurait la capacité de rendre la vie plus humaine et digne de son peuple.
- 1. Texte publié dans le n°21 du bulletin Écho d’Iran, mai 2019 : http://www.iran-echo.com…]
Quelque 10 millions de personnes ont été affectées par les inondations dévastatrices qui sévissent dans les trois quarts des provinces iraniennes. Deux millions sont gravement touchées, 500 000 déplacées, dont la moitié sont des enfants. Selon les autorités, à ce jour [8 mai, NDLR], on compte au moins 76 mortEs, 200 000 maisons détruites, 14 000 kilomètres de routes endommagées, des centaines de ponts détruits, des champs dévastés. Mais il en est peu question car les autorités iraniennes essaient de cacher leur incompétence, mais aussi que l’Iran est isolé diplomatiquement. L’aide internationale est d’autant plus dérisoire que la plupart des gouvernements respectent les sanctions imposées par Trump. D’où, par exemple, le manque d’hélicoptères pour le sauvetage. L’ONU elle-même reconnaît que « les défis posés par les sanctions unilatérales affecteront la réponse des Nations Unies ». Et tant pis pour la population… Les besoins des enfants iraniens touchés par les inondations s’aggravent de jour en jour et « il est urgent d’accroître l’approvisionnement », a averti l’Unicef dans un communiqué le vendredi 19 avril.
Mauvaise gestion de la crise
La construction irraisonnée de routes sur les zones inondables et les lits des rivières a causé des pertes humaines et matérielles de grande envergure. Le niveau de l’eau a envahi plus de 2000 agglomérations, à travers 25 des 31 provinces d’Iran. Pendant un mois, presque tout le pays, en particulier les régions situées à l’ouest et au sud ont été noyées sous les pluies torrentielles. En plein printemps durant une semaine il neigeait dans la province de l’Azerbaïdjan, ce qui est tout à fait inhabituel. La plupart des terres agricoles sont devenues incultivables. Les usines de canne à sucre du Khouzistan sont à l’arrêt, et 30 000 hectares de plantations sont sous l’eau. La réponse du régime a été totalement inadéquate, avec une mauvaise gestion de la crise et un manque de préparation évident. De nombreuses zones touchées par les inondations ne bénéficient d’aucun secours. Le directeur provincial du Croissant-Rouge, Sarem Rezaee, a fait remarquer que son organisation avait tout simplement perdu toute communication avec de nombreuses localités, ajoutant que le Croissant-Rouge n’avait plus de contact avec les autorités : « Nous avons demandé une aide d’urgence aux provinces voisines, mais personne ne peut rien faire ». Les partisans de la « ligne dure » comme les « modérés » du régime rejettent la faute sur les forces et interventions « étrangères ». Mais les dirigeants iraniens n’ont pas réussi à faire la lumière sur certaines des raisons fondamentales qui sous-tendent cette crise.
Au lieu d’apporter leur plein appui aux populations touchées par les inondations, les Gardiens de la révolution (Pasdaran) ont ouvert le feu dans de nombreux villages sinistrés, tuant au moins une personne et en blessant plusieurs. Les Pasdaran craignent que la frustration et la colère des sinistréEs, qui n’ont pas reçu d’aide du gouvernement, ne se transforment en un nouveau moteur de protestations généralisées.
Constructions incontrôlées et illégales
Le président Rohani, qui a mis beaucoup de temps pour se rendre dans les régions sinistrées, y a été partout chahuté par les habitantEs en colère. Les institutions étatiques ont réagi très tardivement et partiellement laissant la population endeuillée se débrouiller les mains vides. L’absence des autorités et de toute aide gouvernementale est à déplorer. Par contre, la population s’est organisée avec les moyens du bord pour sauver ce qui peut l’être. Et pendant ce temps, Rohani pointe du doigt les États-Unis afin d’expliquer pourquoi les personnes touchées par les inondations ne reçoivent pas d’aide.
Dans les régions frontalières avec l’Irak où les dégâts sont énormes, les Pasdaran ont fait venir les milices armées irakiennes Hashd al-Sha’bi et Al Nojaba, ainsi que la milice afghane des Fatemiyoun, prétendument pour aider la population, mais on ne sait pas exactement quel rôle elles vont jouer contre les éventuels mécontentements exprimés. Les IranienEs estiment que ces groupes de mercenaires, créés par les Pasdaran, sont là pour des raisons répressives et non humanitaires.
En plus de l’accent mis par le régime sur les dépenses excessives consacrées à ses programmes militaires et d’énergie nucléaire plutôt qu’à mettre en place des infrastructures nécessaires pour le développement du pays, les inondations peuvent également être attribuées à la mauvaise gestion de l’urbanisme par le gouvernement, la corruption du régime.
Les sinistres naturels causent partout des dégâts innombrables, mais dans le cas de l’Iran, les infrastructures existantes, la mauvaise gestion, les constructions incontrôlées et illégales, l’ingénierie inexistante... ont en effet rendu la situation encore plus dévastatrice. Par exemple, les Pasdaran ont construit une ligne du chemin de fer entre la province du Golestân et le Turkménistan, pays voisin. Ils n’ont pas pris en considération le fait qu’une partie de cette région se trouve sous le niveau de la mer et, de plus, par négligence, ils ont oublié de construire de petites digues pour que les eaux pluviales puissent circuler vers les rives de la mer Caspienne. Par conséquent, les torrents ont inondé un grand nombre des villes et des villages de la région, et le chemin de fer également.
« Une perpétuelle gouvernance de crise »
À cela, il faut ajouter la cupidité sans fin des hauts responsables du régime. Les familles des grands ayatollahs du Nord ont pour but de se construire des immeubles et des villas, et surtout réaliser des profits par, d’une part, la poursuite de projets immobiliers près des rivières et, d’autre part, la déforestation et l’exploitation généralisée des forêts et des mines au profit des Pasdaran, de leurs entreprises, ainsi que de hauts responsables.
En outre, le pouvoir en place a construit des barrages sans étudier les conséquences et sans prendre en compte l’environnement et les spécificités naturelles et géologiques. La plupart de ces barrages ont été construits par des entreprises dépendant de Pasdaran. L’entretien de ces barrages et de leurs lacs a été complètement ignoré, et c’est pour cette raison que l’eau n’a pas pu couler normalement et que les cours d’eau ont débordé, causant beaucoup de dégâts.
Il n’y a là rien de bien original, mais la République islamique peine à mettre en place des procédures de réponse face à de telles catastrophes : le quotidien le Monde du 24 avril
Louis Imbert, « L’Iran se noie dans des inondations destructrices », le Monde, 24 avril 2019.