Résolution du Bureau exécutif de la IVe Internationale*
Pandémie, dépression économique, mise en évidence de l’inégalité structurelle et des oppressions générées par le néolibéralisme, confrontation géopolitique pour la suprématie mondiale et acuité de l’imminence de l’effondrement environnemental… tout cela a convergé en 2020 lorsque l’humanité tout entière a fait face à une pandémie mondiale, sans précédent depuis des décennies.
La pandémie a déjà provoqué plus de 400 000 décès dans le monde (401 000 le 8 juin), avec plus de 6,8 millions de cas officiellement enregistrés dans 216 pays. Dans la seconde moitié du mois de mars, avant que le confinement ne commence à être levé en Asie, plus de 3 milliards de personnes étaient bloquées chez elles.
À ce stade, il est impossible de dire dans quelle mesure il y aura une deuxième vague de cas – ni si le virus va muter.
C’est beaucoup plus qu’un problème de santé
C’est un moment qui condense des processus de longue durée, qui se développaient de manière relativement autonome et qui convergent maintenant de manière explosive : la crise écologique, les limites du néolibéralisme et les inégalités, ainsi que la lutte géopolitique pour la suprématie entre le vieil impérialisme et la Chine. Les processus qui modifient structurellement le monde façonné en 1945 apparaissent et interagissent. C’est certainement une bifurcation dans l’histoire, un moment de grands enjeux pour tous les acteurs politiques.
Nous sommes au cœur d’une convergence de crises, pleines de dangers, une crise de la civilisation capitaliste, la plus grave depuis les guerres mondiales du XXe siècle. C’est ce que Gramsci a appelé une crise organique : des fissures commencent à apparaître dans l’édifice même du pouvoir bourgeois, sa prétention à l’universalité commence à s’effriter, et des affirmations jusque-là hégémoniques se révèlent être ce qu’elles sont réellement : une manière de préserver la stabilité capitaliste. Le consensus social se dégrade et les exigences capitalistes ne sont plus perçues comme concourant au bien-être général. Une polarisation politique est en cours, un espace politique s’ouvre qui pourrait être conquis par les anticapitalistes écosocialistes, mais aussi par l’extrême droite, alors que des « symptômes morbides » commencent à apparaître.
Lorsque nous proposons une politique de santé basée sur la solidarité, il est clair que ces exigences dépassent le cadre fixé par le capitalisme. Notre santé dépend des conditions dans lesquelles nous vivons, si nous pouvons respirer un air pur, boire de l’eau non contaminée, nous procurer des aliments de bonne qualité, si nos villes nous offrent un environnement vivable, etc. En bref, cela dépend de vivre dans des conditions correctes et d’avoir des revenus suffisants pour nous garantir une bonne vie. La santé est un ensemble physique, social, culturel et environnemental qui est à la base d’une vie humainement riche et correcte. Parce que les conditions de vie créées par le capitalisme ne nous permettent pas de mener une bonne vie, ni sur le plan social ni sur le plan culturel et écologique, une politique de santé fondée sur la solidarité dépasse les limites fixées par le capitalisme.
La crise écologique
La déforestation, l’extractivisme, la productivité capitaliste, la dévastation des écosystèmes et l’augmentation du confinement des animaux et de la consommation de viande ont facilité et augmenté le franchissement des barrières des espèces par les virus. Les trois quarts des nouvelles maladies apparues depuis 1960 sont des zoonoses. Il s’agit notamment de l’Ebola, du sida, du SRAS, du MERS et du Covid-19. La mondialisation des échanges a entraîné une rapide prolifération des virus à l’échelle mondiale. La croissance des mégalopoles et des bidonvilles qui y sont liés accélère la vitesse de transmission entre les humains. Ainsi, la pandémie de Covid-19 est une conséquence de l’intersection des effets de la mondialisation.
Le GIEC prévoit une augmentation des températures moyennes mondiales allant jusqu’à 6° C d’ici 2100, ce qui implique des augmentations de température beaucoup plus importantes dans la plupart des régions continentales et dans l’océan Arctique, une élévation significative du niveau de la mer et une augmentation globale de la fréquence et de l’intensité des événements extrêmes tels que les canicules, les mégafeux, les sécheresses, les inondations et les ouragans ou typhons dévastateurs. Cela amènerait 3,5 milliards de personnes à quitter 19 % de la surface terrestre, dont les zones côtières et les régions tropicales. Cette catastrophe climatique, ainsi que d’autres points de basculement environnementaux, notamment la perte de biodiversité, la déforestation et le manque d’eau potable, auraient des conséquences encore plus terribles que celles du Covid-19. La pandémie nous donne ainsi un aperçu de ce que pourrait devenir un monde victime de telles catastrophes.
Dans certaines régions du monde, le moment de la pandémie est utilisé par l’agro-industrie pour faire avancer le projet capitaliste de destruction de la nature. Le Brésil en est un exemple : en mars et avril, la déforestation de la forêt amazonienne y a augmenté de 29,9 % par rapport à la même période l’année précédente. Cette avancée destructrice sur la forêt est aussi une avancée du génocide de ses peuples, en particulier les peuples indigènes, qui ont été parmi les plus touchés par le Covid-19. Il est essentiel que nos organisations éco-sociales participent à la défense internationale de la forêt amazonienne et de la santé des peuples indigènes pendant cette période de pandémie !
L’impact géopolitique et géo-économique sur la situation mondiale
Le conflit pour la suprématie est assumé et belliqueux, dans une bipolarité résolument construite par les États-Unis et la Chine.
Depuis un demi-siècle, la Chine s’est développée dans le cadre d’un partenariat stratégique avec les États-Unis. L’administration Obama avait déjà tenté de répondre à la croissance menaçante de la Chine en essayant de la saper par le biais du Traité de partenariat transpacifique signé en 2015. Mais dans le cadre du réalignement géopolitique promu par le projet Trump, son gouvernement a dénoncé l’accord en janvier 2017, ce qui a permis à Pékin de commencer à se poser en champion du libre-échange et de la mondialisation économique face au protectionnisme nationaliste de Washington.
La rupture de cette alliance a eu des répercussions dans toutes les sphères de la société mondiale. Les États-Unis et l’Union européenne (UE) sortent donc affaiblis de cette phase. L’UE, déjà touchée par Brexit, sera la plus endommagée. L’incapacité de mobiliser une réponse sanitaire paneuropéenne à la crise a porté un coup à l’UE : les États membres n’ont pas agi de concert lorsque la crise a éclaté en Europe, mais unilatéralement, en fermant les frontières, en suspendant la libre circulation et en interrompant sans coordination les liaisons de transport. Pendant des semaines, l’Italie n’a reçu aucune aide, ni des pays voisins, comme la France ou l’Allemagne (qui ont également bloqué les exportations de fournitures et d’équipements médicaux), ni au niveau de l’UE. La Chine a fait davantage en matière de fourniture d’équipements. Cuba, malgré le blocus criminel des États-Unis, a envoyé des brigades médicales dans plus de 20 pays.
Les pays endettés comme l’Espagne, la Grèce ou l’Italie sont renvoyés vers le mécanisme européen de stabilisation financière (MESF) dans le cadre d’un soutien spécial à la crise pandémique de 240 milliards d’euros. Ce mécanisme exige des mesures d’austérité – et des suppressions de services publics – en échange de crédits.
Avec 40 millions de demandes d’inscription au chômage au début du mois de juin, l’économie américaine devrait décliner de 5,8 % (FMI) à la fin de l’année. Dans le contexte de la crise sociale (et d’une vague de soulèvements antiracistes actuellement en cours), le pays a prévu des élections en novembre, qui marqueront le cours de la situation politique intérieure et extérieure. Trump utilisera tous les moyens possibles pour se faire réélire (y compris la fraude), mais il aura du mal à y parvenir. Son prestige auprès de la moitié de la population a été très affecté. L’éruption actuelle de mobilisations massives et radicales aux États-Unis survient dans le contexte de l’inégalité sociale et raciale historique, du mécontentement politique et de l’expérience de lutte accumulée par les nouvelles générations. C’est aussi le produit de la gestion désastreuse de la pandémie par le gouvernement Trump, qui a provoqué un impact disproportionné sur les communautés noires.
Dans les pays les plus pauvres, les populations subiront à la fois des dommages sanitaires et des effets économiques. Au Brésil, au Pérou, au Chili et au Mexique, on constate une forte augmentation du nombre des infections. Au Brésil, les experts de la santé prévoient une explosion de Covid-19 en juin, aggravée par les politiques criminelles de Bolsonaro. Ce pays combine de manière explosive une crise sanitaire qui s’aggrave avec une récession économique et une grave crise institutionnelle. Bolsonaro est plus isolé et fait appel à sa base radicale d’idéologie fasciste, soutenue par des secteurs des services de police de l’État, de l’armée et des milices, pour faire taire le Congrès et la Cour suprême afin de gouverner de manière explicitement dictatoriale.
En Afrique et au Moyen-Orient, les systèmes de santé sont encore plus défaillants, touchés par les situations de guerre et, même si le nombre de malades est faible, les risques de cette épidémie s’ajoutent à ceux déjà présents : en Afrique, par exemple, le paludisme a tué 380 000 personnes en 2018, la tuberculose 607 000 et la malnutrition entre 2 et 3 millions. Les peuples seront sérieusement confrontés à une plus grande austérité et à un approfondissement du sous-développement, de la dépendance alimentaire, de l’endettement, de la mainmise des multinationales et du grand capital local sur l’économie et les ressources. Ce sont ces mêmes causes qui ont déclenché le processus révolutionnaire dans la région arabe et qui lui donneront un nouvel élan pour un nouveau cycle après le Covid-19.
L’incertitude totale quant à une reprise économique en forme de V tend à rendre les groupes capitalistes et leurs gouvernements plus agressifs. Tant que le capitalisme ne sera pas vaincu, tout espoir d’un « monde d’après », différent et meilleur, sera pure utopie ; il sera encore plus inégal. La lutte pour une alternative anticapitaliste est d’autant plus urgente.
Crise du modèle néolibéral
Cette crise a ses racines dans la mondialisation, et toutes les crises précédentes seront amplifiées après cette pandémie. De plus, le Covid-19 a révélé la fragilité d’un système capitaliste de production mondialisé, profondément déterminé par la recherche maximale de la valeur marchande (à travers les chaînes de valeur et l’adaptation des productions des pays dominés aux intérêts des grands groupes capitalistes) et d’un taux de profit largement indépendant de la croissance. Néanmoins, les objectifs capitalistes dans les prochains mois seront de continuer comme si de rien n’était – « business as usual » – le plus vite possible.
L’accentuation de la mondialisation et des politiques d’austérité avait déjà trouvé ses limites ces dernières années : depuis la crise financière de 2008, les grandes banques centrales, dont la Réserve fédérale américaine, la BCE et la Banque d’Angleterre, ont injecté d’énormes sommes d’argent dans les banques privées pour maintenir à flot l’ensemble du système économique. Dans le même temps, avec des taux d’intérêt réels nuls ou négatifs, l’endettement des pays et des entreprises capitalistes a augmenté en flèche aux États-Unis et en Europe.
Les moyens financiers que les banques centrales ont distribués à profusion n’ont pas été utilisés par les banques et les grandes entreprises capitalistes des autres secteurs pour des investissements productifs. Ils ont été utilisés pour acquérir des actifs financiers. Cela a produit une bulle spéculative sur le marché boursier, sur le marché obligataire (c’est-à-dire les dettes obligataires) et, à certains endroits, dans le secteur immobilier. Toutes les grandes entreprises se sont retrouvées surendettées au début de cette crise.
Une crise sociale profonde
Le Covid-19 a fortement perturbé la production, les transports et la demande.
Même dans les zones moins touchées par la pandémie – comme par exemple en Afrique (5 125 morts le 7 juin, dont plus de 3 800 en Algérie, au Cameroun, en Égypte, au Maroc, au Nigeria, en Afrique du Sud et au Soudan) – les crises en Chine, puis aux États-Unis et dans l’UE ont des effets profonds au niveau économique et social : le Programme alimentaire mondial prévoit pour 2020 un doublement du nombre de personnes concernées par l’insécurité alimentaire aiguë, en particulier en Afrique et au Moyen-Orient (il était de 135 millions en 2019 en raison des guerres et du changement climatique).
L’effet de cette crise est le retour du spectre de la faim dans les secteurs les plus pauvres de la classe ouvrière de plusieurs pays, en particulier pour les exclus du monde du travail ou insérés de manière précaire, sans droits du travail – qui sont en général les populations racialisées et exclues à cause de leur condition ethnique et sociale. C’est pourquoi les initiatives des mouvements sociaux visant à organiser des actions de solidarité de classe pour lutter contre la faim sont fondamentales et ont des effets directs sur la capacité d’organisation politique dans les quartiers pauvres. Les mouvements des communautés noires et migrantes (en particulier au Brésil, aux États-Unis et en Europe) au cœur de de ces initiatives, ont joué un rôle fondamental dans l’organisation de la résistance populaire à la pandémie.
La production alimentaire est actuellement fortement centralisée, avec une poignée de grandes entreprises qui dominent dans chaque secteur. Une grande partie de ce qui est produit est activement préjudiciable à la santé humaine, et la malbouffe, qui est bon marché et rassasiante, contribue de manière significative à l’obésité et aux maladies qui affectent le plus les pauvres.
Effets sur l’emploi et les conditions de vie des classes ouvrières et populaires
Les classes populaires, dont font partie les paysans pauvres, sont les principales victimes du Covid-19, directement par le nombre de décès, et indirectement par les licenciements, les pertes d’emploi ou d’activité et les réductions de salaire.
Toutes les premières études, menées par exemple aux États-Unis, au Brésil ou en France, montrent que les classes populaires sont les principales victimes des décès dus au Covid-19. Sur une population active de 3,3 milliards de personnes, plus de quatre personnes sur cinq ont été touchées par la fermeture totale ou partielle de lieux de travail, selon les estimations de l’OIT. Aux États-Unis, 20 millions d’emplois ont été détruits en avril, après 30 millions de nouveaux enregistrements de chômeurs en mars. En Grande-Bretagne, il y a eu 950 000 nouvelles inscriptions au chômage entre le 16 et le 31 mars – soit dix fois plus que la normale. En Europe, la part du chômage partiel a explosé. En Allemagne, près de 500 000 entreprises l’ont mis en œuvre en mars, soit vingt fois plus en un mois qu’après la crise financière de 2008.
En Afrique, en Amérique latine et en Asie, (jusqu’à 90 % en Inde) une part importante de la main-d’œuvre travaille dans l’économie informelle. Ces « travailleurs au noir » ont perdu leurs revenus avec la crise Covid-19, et n’ont pratiquement aucune protection sociale, aucune allocation de chômage et peu d’accès aux services de santé. Dans de nombreux pays, une proportion importante de ces travailleurs sont des migrants – soit des migrants intérieurs, des campagnes vers les villes (Inde, une grande partie de l’Afrique) ou vers d’autres États (dans les États du Golfe, en provenance d’Asie, aux États-Unis, en provenance d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale, etc.). Ces travailleurs sont doublement vulnérables : non seulement ils sont les premières victimes de la crise économique, mais ils sont de plus désignés par les racistes comme des boucs émissaires. L’Organisation internationale du travail (OIT) prévoit que 1,6 milliard de personnes dans le monde – soit les trois quarts des travailleurs informels – risquent de perdre leurs moyens de subsistance au cours du deuxième trimestre. Elle estime que 6,7 % des heures de travail dans le monde pourraient être perdues au cours du deuxième trimestre, soit 195 millions d’équivalents temps plein pour une semaine de 48 heures, dont 125 millions en Asie, 24 millions en Amérique et 20 millions en Europe. Une étude de l’Union africaine avance le chiffre de 20 millions d’emplois perdus sur le continent et une augmentation de la dette.
Le Covid-19 a intensifié les discriminations
En général, ce sont les plus précaires de la classe ouvrière qui ont été le plus directement ou indirectement touchés par le virus. À New York, les Noirs du Bronx, dans l’ensemble des États-Unis, les Amérindiens et les Noirs ; en région parisienne, les populations racialisées de Seine Saint-Denis ; au Brésil, les Noirs des favelas. En Inde, beaucoup de ceux qui vivent dans les rues ou dans les bidonvilles sont des musulmans, qui ont été rapidement chassés par les propriétaires et l’État lorsque Modi a imposé un confinement draconien et très rapide – ce qui a entraîné un vaste mouvement de population. Pour les Philippines, on estime que plus de 70 000 travailleur·es émigrés seront contraints de rentrer, ayant perdu leur emploi à cause de la pandémie. Certains d’entre elles et eux travaillaient dans la construction, mais la majorité dans l’hôtellerie, y compris sur les paquebots de croisière. Toutes ces populations ont été victimes de facteurs de morbidité plus importants, de conditions d’alimentation et de logement plus précaires, et de la nécessité de se déplacer pour continuer à travailler.
• Dans toute l’Europe, aux États-Unis et au Canada, en Amérique latine, en Inde, en Chine et au Moyen-Orient, les violences contre les femmes et les féminicides ont augmenté de 30 à 100 % par rapport à la situation précédente.
• Aux États-Unis, dans les Caraïbes et en Amérique du Sud (au Brésil en particulier), les populations d’origine africaine souffrent beaucoup plus, compte tenu de la situation de pauvreté de la majorité, avec la pandémie, le chômage, la perte de revenus du secteur informel et la violence de l’État.
• Toutes les populations déportées et réfugiés – les Syriens, les Palestiniens, les Ouïgours, les Rohingyas dans les camps au Bangladesh – souffrent encore plus de cette situation.
• Dans le Golfe, des millions de travailleurs migrants d’Asie du Sud se trouvent aujourd’hui dans une situation des plus précaires, sans travail ni moyens.
• Les élèves et les étudiants des milieux défavorisés sont ceux qui ont le plus souffert de la fermeture des établissements et de l’enseignement en ligne sans qu’il y ait une garantie d’accès aux ordinateurs et à Internet pour toutes et tous. Les jeunes enfants, en particulier, sont les plus susceptibles de souffrir d’un soutien insuffisant dans leur environnement familial.
La pandémie facilite les atteintes aux libertés démocratiques
De nombreux pays ont introduit des restrictions aux droits démocratiques dans le cadre du confinement en état d’urgence. Dans de nombreux pays, des lois d’exception ont été promues, des opposants arrêtés. Aux Philippines, par exemple, Duterte a utilisé le Covid-19 pour intensifier une politique répressive de contrôle de la population. Il en va de même à Hong Kong, où le gouvernement de Pékin introduit une nouvelle restriction des droits démocratiques. En Amérique latine, c’est le cas au Brésil, en Colombie, au Chili, en Équateur et en Bolivie, par exemple. Dans de nombreux pays, les mesures de confinement et de contrôle mises en œuvre sont l’occasion d’utiliser les nouvelles technologies de traçage pour expérimenter de nouvelles méthodes de surveillance policière. Il est clair que l’objectif sera de rendre ces mesures permanentes. D’autant plus que le Covid-19 est arrivé dans de nombreux pays à la suite de nombreuses mobilisations sociales contre les conséquences des politiques capitalistes. C’était le cas, par exemple, à Hong Kong, en Algérie, au Chili, ou en France.
Ayant exacerbé ces situations d’injustice sociale, les classes dominantes craignent à juste titre une résurgence des mobilisations sociales. Elles s’y préparent donc en essayant de renforcer leurs arsenaux répressifs. Néanmoins, déjà, malgré le Covid-19, à Hong Kong, les manifestations ont recommencé contre les lois antidémocratiques du gouvernement de Pékin, et au Brésil un vaste mouvement s’organise pour demander la destitution de Bolsonaro. Nous pouvons nous attendre à de nombreuses mobilisations sociales et politiques dans les prochains mois.
L’actuelle explosion des mobilisations massives aux États-Unis, en réponse à l’assassinat de George Floyd par la police de Minneapolis (qui a une longue tradition de racisme particulièrement flagrant), s’inscrit dans le contexte du mouvement Black Lives Matter et dans celui de l’impact disproportionné sur la communauté noire des politiques sanitaires de Trump.
Les mouvements sociaux et les anticapitalistes doivent s’organiser contre la violence des politiques agressives
Alors que les risques sanitaires sont encore très présents et que le seul objectif de la classe dominante est de reconstituer ses profits, les menaces qui pèsent sur les classes populaires sont doubles. Non seulement les fermetures d’entreprises et les licenciements vont augmenter, les salaires seront bloqués ou réduits, mais de plus les lois de protection des droits du travail (là où elles existent) ont été largement remises en cause avec les mesures d’urgence – et il y a clairement une volonté de continuer dans ce sens. En Inde, par exemple, le gouvernement Modi pousse les États dans cette direction, et dans l’Uttar Pradesh et le Madhya Pradesh, les droits des syndicats sont suspendus, de même que les règlements d’hygiène et de sécurité du travail pour les activités nouvelles, alors que les licenciements sont facilités.
Dans plusieurs pays, tels que l’Allemagne, l’État espagnol, les États-Unis et le Brésil, pendant le confinement, des groupes d’extrême droite ont organisé des manifestations contre le confinement, des manifestations racistes et xénophobes, mêlant théories du complot, nationalisme ou suprématie blanche. En Inde, les musulmans (200 millions) ont été victimes de campagnes des groupes racistes les accusant d’être responsables de l’épidémie. L’extrême droite parasite ainsi la crise sociale et politique qui sévit dans de nombreux pays, pendant et après le confinement.
Mais, dans de nombreux pays, malgré le confinement, les mouvements sociaux, les syndicats, les communautés populaires ont été actifs, dans la continuité des nombreuses actions et mobilisations menées auparavant par les syndicats, les organisations politiques ou les mouvements sociaux, comme par exemple les mobilisations contre les violences sexuelles ou racistes, pour le droit au logement, les luttes des salarié·es comme celles des personnels de santé en France, les mouvements anti-autoritaires et démocratiques au Chili, au Liban, en Algérie, à Hong Kong, et toutes les mobilisations climatiques menées au cours des mois précédents. Dans certains pays, cela a conduit au développement d’un nouveau mouvement social – l’entraide – qui soulève des questions intéressantes sur le militantisme « dans et contre l’État » dans la situation actuelle (et peut-être à plus long terme) et sur la création d’organisations communautaires là où auparavant elles n’avaient pas cette ampleur. La crise du Covid-19 et ce qu’elle a révélé sur la société dans laquelle nous vivons ne peut que renforcer la volonté de ces mobilisations et mouvements de poursuivre leur action et de réussir.
Pendant le confinement, de nombreuses initiatives auto-organisées des travailleur·es ont eu lieu dans des territoires en résistance, dans les campagnes et les villes. Il existe des exemples de ces initiatives de la population ou de secteurs organisés – tels que les paysans, les peuples indigènes, les chômeurs, les habitants et les communautés à la périphérie des grandes villes, les réseaux de solidarité féministe… Ces initiatives forgent des alternatives très intéressantes, telles que la fabrication collective de masques en tissu à donner à la population afin d’assurer la prévention de la contagion, le don et la production alternative de nourriture, la défense du système de santé publique et la demande d’y accéder universellement, la dénonciation de l’escalade de la violence faite aux femmes et du travail de soins épuisant qu’elles effectuent lors de leur isolement au foyer, entre autres.
Une des conséquences de la crise est la manière dont elle a révélé à des couches beaucoup plus larges de la population les types de travail qui créent une valeur d’usage – travail essentiel – et ceux qui n’existent que pour créer du profit. De manière générale et plus spécifiquement par des actions marquant la valeur que les classes populaires lui accordent, le travail de reproduction sociale dans le domaine de la santé et des soins s’est avéré vital – qu’il soit impayé au sein du foyer ou (mal) payé dans les secteurs public ou privé. Dans de nombreux pays, les actions (applaudissements) qui au début marquaient la reconnaissance aux travailleur·es de la santé ont élargi leur champ d’action pour inclure toutes et tous les travailleurs essentiels, en particulier ceux des services postaux, des transports, de la distribution alimentaire et de la vente au détail. La forte proportion de femmes et de travailleurs noirs et migrants dans ces secteurs a été soulignée.
Dans le même temps, la réduction très importante des voyages aériens et, dans une moindre mesure, des voyages routiers a apporté des avantages inattendus : la réduction de la pollution atmosphérique dans des milliers de villes « normalement » étouffées par le smog, et la disparition de la pollution sonore qui permis à beaucoup de gens d’entendre des oiseaux chanter, pour la première fois depuis au moins des décennies.
Des discussions commencent dans de nombreux mouvements sociaux et dans certaines parties du mouvement syndical, remettant en question (sous le slogan #buildbackbetter – reconstruire en mieux) la « normalité » : la pauvreté au milieu des richesses ostentatoires, le sans-abrisme, les conditions de travail dangereuses, la violence faite aux femmes, la discrimination des populations noires et migrantes, la pollution, les longs trajets des aliments et d’autres aspects de la catastrophe environnementale.
Pendant et après le confinement, il y a eu de nombreuses actions et grèves des travailleurs pour réclamer la sécurité sanitaire, la fermeture des productions non nécessaires, la garantie des droits du travail et le paiement des salaires. Par exemple, dans de nombreux pays, les luttes des employé·es d’Amazon ou des employé·es des secteurs de la restauration, du transport ou de la logistique (livraison).
Par conséquent, les tâches essentielles des mouvements sociaux dans les prochains mois seront d’organiser les classes populaires pour la défense de leur santé et de leurs droits face à une vague d’attaques sociales qui affecteront à la fois l’emploi, les droits sociaux et les libertés démocratiques, et pour recréer une relation durable entre les populations humaines et l’environnement.
Face à la pandémie, un plan d’urgence dans les domaines de la santé, du logement, de l’emploi et des salaires, l’éducation, l’accueil des migrants et l’environnement :
• Partout, et notamment dans les régions touchées par la pandémie, garantie des moyens suffisants pour la mise à disposition massive de kits de dépistage, multiplication des lits de réanimation et des respirateurs ainsi que généralisation à l’ensemble de la population des masques de protection et des tests biologiques appropriés.
• Reprise des activités économiques seulement si la santé des travailleur·es est protégée : mise à disposition de moyens de protection (masques, gels, lunettes, gants) pour tous les employé·es, et exercice immédiat du droit de retrait si les conditions de sécurité ne sont pas respectées.
• Prise en charge à 100 % par les entreprises et/ou l’État des salaires des travailleuses et travailleurs ayant suspendu leur activité – y compris les migrant·es, les précaires, les temporaires, les domestiques, les indépendant·es et les saisonnier·es – sans obligation de prendre des jours de congé ou de récupérer ultérieurement les heures non travaillées. Obligation pour les États de payer les salaires des employé·es que les employeurs refusent de payer pendant la crise. Le gouvernement doit ensuite récupérer le coût de cette intervention en infligeant une amende à l’entreprise coupable de ne pas payer les salaires.
• Fourniture par l’État d’un revenu minimum garanti suffisant pour vivre décemment aux travailleur·es du secteur informel, aux chômeur·es non rémunérés, aux étudiant·es, à toutes celles et ceux qui en ont besoin.
• Interdiction de tout licenciement et de toute fermeture d’entreprise par des groupes capitalistes, la réintégration des salarié·es licenciés depuis le début de la pandémie.
• Ouverture d’écoles dans des conditions sûres pour les élèves et les enseignant·es. Pas de pénalisation des étudiant·es suite à la suppression des cours.
• Refus de toute mesure autoritaire et exceptionnelle de suspension des droits sociaux, en particulier du droit de grève, et surtout du maintien de ces mesures après la levée du confinement.
• Arrêt de toutes les expulsions de locataires, suspension des loyers, des prêts personnels et des factures d’eau et d’énergie, mise à disposition de logements convenables pour tous ceux qui vivent dans la précarité ou sans logement, réquisition des logements vides.
• Fourniture d’une aide sociale adéquate aux personnes handicapées, aux personnes âgées et à tous ceux qui sont ou ont été socialement isolés par le confinement.
• Mise en place de mesures de protection d’urgence immédiates pour les femmes et les enfants victimes de violence, avec des décisions rapides pour éloigner les conjoints violents ou fournir un logement de remplacement aux victimes, garantie de l’accès en temps opportun à la contraception et à l’avortement en tant que procédures médicales essentielles.
• Conversion des centres fermés pour réfugiés en centres d’accueil ouverts dotés d’installations sanitaires. Régularisation immédiate de toutes et tous les sans-papiers et réfugiés afin de donner accès à tous aux systèmes de protection sociale et de mettre fin à toutes les expulsions. Fermeture immédiate des camps de détention pour migrants, très surpeuplés, en particulier celui de Moria à Lesbos et ceux qui longent la frontière entre les États-Unis et le Mexique.
Lutter contre l’organisation capitaliste de la société, mettre les intérêts des classes populaires et les besoins sociaux au premier plan par une série de décisions urgentes :
1. Tous les domaines essentiels du système de santé, y compris les assurances maladie, de même que l’industrie pharmaceutique et biotechnologique ainsi que toutes les recherches et le développement médical et pharmaceutique ne doivent pas être privés mais être placés sous contrôle public. Les brevets sur les médicaments, les connaissances et les produits médicaux doivent être abolis. La recherche médicale doit être menée au niveau international dans un esprit de solidarité et être consacrée uniquement au service de l’humanité. Le savoir et les technologies doivent être mises gratuitement à la disposition de chaque pays.
2. Cela doit s’accompagner du développement d’une infrastructure sociale gratuite pour la santé, au niveau local, au plus près des besoins, et national. Les emplois essentiels de la reproduction sociale, occupés majoritairement voire exclusivement par des femmes, doivent être socialement reconsidérés et mieux rémunérés.
3. Il est évident que dans le cadre de cette restructuration du système de santé, tous les hôpitaux privés doivent être placés sous contrôle public et transférés à la propriété sociale. Un secteur unifié des soins de santé et des soins cliniques est absolument essentiel.
4. Les services de nettoyage et autres services nécessaires au fonctionnement des hôpitaux et de tous les établissements de soins doivent être réintégrés dans le service public. Les employé·es de ces services doivent être rémunéré·es décemment et l’intégrité de leur santé sur le lieu de travail doit être garantie.
5. Afin de pouvoir faire face à tout cela, il faut arrêter toute production d’armes, convertir les usines vers des productions socialement utiles et investir les fonds ainsi libérés dans le développement du système de santé.
6. Financer les coûts engendrés par l’expansion du système de santé au moyen d’impôts spéciaux sur les hauts revenus, les rentes et le patrimoine. Tout doit être fait pour que les coûts de la crise soient supportés par ceux qui ont réalisé d’énormes profits et accumulé des richesses aux dépens du reste de la population au cours des dernières décennies.
7. Les conditions de travail ne doivent pas rendre les gens malades et doivent être propices à leur développement et à leur santé. Cela est particulièrement urgent pour les travailleurs non qualifiés de l’industrie de la viande, de l’agriculture, des soins aux personnes âgées et des services de livraison. La sécurité du travail, des mesures sanitaires et d’hygiène adéquates doivent être garanties. Réduction du temps de travail et amélioration des dispositions en matière de pause.
8. Éradication des logements précaires et insalubres avec des plans d’urbanisme pour la construction de logements publics de qualité.
9. Renforcement et extension du système d’éducation public, refus de sa privatisation par le développement d’entreprises proposant des modules d’apprentissage sur Internet.
10. Transfert à la propriété publique des principales plateformes de médias sociaux. Facebook, WhatsApp, Amazon et Zoom qui profitent massivement du confinement et collectent des données qui généreront d’énormes profits à l’avenir. Elles devraient être expropriées (sans compensation, elles ont déjà trop rapporté) et fonctionner en tant que service public transparent et sans but lucratif.
11. Mise en régie publique des services funéraires. Des entreprises privées ne devraient pas être autorisées à tirer profit de la mort et à tenter de manipuler le chagrin des gens pour maximiser leurs recettes.
12. Une agriculture soutenable et une justice alimentaire mondiale, en réorganisant les circuits de production et de distribution en fonction des besoins sociaux. Réduction des transports des aliments et de la consommation de viande. Arrêt de la déforestation, en particulier celle provoquée par l’agrobusiness.
13. Expropriation des banques privées sans indemnisation des principaux actionnaires et socialisation du système financier sous contrôle citoyen ; suspension de tous les frais bancaires sur les comptes privés et octroi aux classes populaires de prêts à taux zéro pour répondre à leurs besoins immédiats ; gel des dettes bancaires des familles, du microcrédit et des loyers ; garantie de l’eau, de l’électricité, du gaz et de l’internet pour tous.
14. La suspension immédiate du paiement des dettes publiques doit permettre de mobiliser les fonds suffisants dont les pays ont besoin pour répondre aux besoins populaires pendant la pandémie. La suspension du paiement de la dette doit être combinée à un audit avec la participation des citoyens afin d’identifier la partie illégitime et de l’annuler.
15. Ouverture des frontières pour l’admission sûre des migrants, avec un statut légal et l’accès aux services de santé et d’aide sociale.
16. La lutte contre la discrimination dans l’accès aux services publics des autochtones, des migrants, des Noirs, des femmes, des LGBTIQ et des personnes handicapées ne peut se faire que par des programmes d’action positive visant à combattre des siècles de discrimination institutionnelle et par la consultation et la participation permanentes de ces communautés à une véritable prise de décision afin de créer des services qui répondent réellement aux besoins de chacune et chacun.
Un autre monde est nécessaire et urgent !
Puisqu’elle met en péril les fondements de la vie humaine, la convergence actuelle des crises exige une politique anticapitaliste avec une perspective écosocialiste. Elle montre l’urgence d’une société fondée sur les besoins sociaux, organisée par et pour les classes populaires avec une propriété publique des banques et des principaux moyens de production. Cette crise montre l’urgence de mettre un frein aux causes du changement climatique, d’arrêter la déprédation environnementale qui détruit « notre maison commune », réduit la biodiversité et ouvre la voie aux pestes contemporaines, tels que les syndromes respiratoires graves de nature virale.
Dans la première décennie du néolibéralisme, des secteurs sociaux s’unissaient pour dire Un autre monde est possible, aujourd’hui nous devons nous unir pour dire Un autre monde est nécessaire et urgent ! Nous avons besoin d’une action internationaliste commune pour aller vers un monde où la vie vaut plus que le profit, où la nature cesse d’être une marchandise. La crise actuelle montre clairement qu’une partie importante de la production capitaliste est purement prédatrice, totalement superflue et gaspilleuse.
Au début des années 2000, le mouvement pour la justice mondiale a rassemblé des millions de personnes, issues de mouvements sociaux, de syndicats, avec la participation d’organisations de la gauche radicale. Aujourd’hui, nous devons construire de tels rassemblements, en proposant des revendications pour lutter contre le capitalisme, le changement climatique et les discriminations. Dans différents pays ou au niveau international, certaines initiatives poursuivant cet objectif commencent à voir le jour. Les organisations et les militant·es de la IVe Internationale consacreront leurs efforts au succès de ces initiatives. Il est urgent que les organisations et les courants sociaux, anticapitalistes et révolutionnaires se coordonnent, débattent et établissent des actions communes au niveau régional et international.
Il sera impossible de revenir à l’état dit normal d’avant la crise Covid-19 – c’était une « normalité » capitaliste menaçant l’avenir de l’humanité et de la planète. Il est urgent de passer à une nouvelle société basée sur les besoins sociaux, organisée par et pour les classes populaires, avec la propriété publique des banques et des principaux moyens de production. C’est pourquoi une perspective de transformation socio-écologique radicale est nécessaire.
Le 8 juin 2020
* Cette résolution a été adoptée par le Bureau exécutif de la IVe Internationale à la suite d'une téléconférence tenue les 30 et 31 mai 2020.