Entretien. Porte-parole de la Coordination parisienne des sans-papiers, Anzoumane Sissoko est aussi l’un des porte-parole de la Coordination internationale des sans-papiers et migrantEs, aujourd’hui représentée dans dix pays européens et dans cinq pays d’Afrique. Avec lui, nous revenons sur la situation du Mali, en particulier sur la préparation d’un contre-sommet social.
Il va se tenir dans quelques jours un sommet des chefs d’État africains à Bamako (Mali). Les grands médias français parlent très peu de la situation politique de l’Afrique en général et du Mali en particulier, à l’exception il y a peu de l’enlèvement d’une militante humanitaire dans la région de Gao (nord du Mali). Pourrais-tu nous faire un point sur la situation politique au Mali, et sur les initiatives que vous comptez prendre ?
Au niveau de Bamako, en écoutant les médias d’ici, on a l’impression que c’est à feu et à sang ! Un des camarades de la CSP 75 est sur place depuis une semaine, et la situation y est calme. Nous préparons un contre-sommet, notamment les ateliers qui doivent se réunir dans une maison des jeunes dépendant du ministère de la Jeunesse. Le contre-sommet va donc effectivement se tenir, contrairement à ce que nous craignions il y a deux semaines. Les informations propagées alors étaient destinées à dissuader le maximum de gens d’y participer.
Pour nous, l’objectif est de faire en sorte que ces grands sommets ne se déroulent plus jamais comme avant. Les partis politiques institutionnels veulent que la population ne soit pas informée de ce qu’il s’y passe. Ce ne sera plus le cas, et nous envisageons d’organiser un vrai contre-sommet dès la veille de l’ouverture. Nous tiendrons quatre ateliers le 10 janvier, quatre le 11, et une « assemblée des convergences » le 12. Deux manifestations sont prévues, le 12 et le 14 janvier.
Pourquoi fait-on cela ? Nous voulons débattre de la question migratoire et de tous les problèmes qui y sont liés, tel que le développement de nos pays, la lutte syndicale, la situation des jeunes Maliens et des jeunes Africains en général. Nous avons invité des représentants de chaque pays de l’Afrique de l’Ouest et du Maghreb, plus une délégation d’une trentaine de personnes de France et d’Europe. Il y aura une délégation importante de trois communes de la région dont je suis natif, et où depuis vingt ans, l’extraction de l’or appauvrit la terre, avec une recrudescence du banditisme où l’on tue des gens pour quelques sous...Tout cela est difficile à vivre. La population est mobilisée, ils vont venir en cars pour participer à ce sommet.
Nous serons accompagnés de Survie, de Solidaires, peut-être de la CGT... Il y a un atelier qui concerne spécifiquement la lutte syndicale. Celle-ci est très très faible au Mali ! Aujourd’hui au Mali, pour être riche, il faut « faire de la politique »... alors qu’il y a une autre manière de faire. On peut se faire entendre, pour trouver du travail, trouver un logement, avoir des papiers. Moi, je me battrai jusqu’au bout pour que le syndicalisme malien soit plus fort pour faire face à ces États corrompus. Et tous les ateliers ont des liens : accords bilatéraux, libre circulation, lutte syndicale, comment faire en sorte que la lutte des femmes dans la migration puisse être vue et entendue...
Ici, en France, nous avons besoin d’un appui de la « gauche populaire » qui se mobilise et fasse passer le message. Chez nous, l’uniforme est aujourd’hui devenu un moyen de racket, et la corruption est devenue la norme. Il faut un sursaut face à ça !
Ce que tu décris s’inscrit dans l’état d’esprit du collectif des Maliens qui occupent ici le consulat ?
Oui, depuis le 23 décembre, le consulat est occupé par un groupe de jeunes Maliens qui s’est donné pour nom « collectif les mains propres ». Ça veut tout dire ! Aujourd’hui au Mali, et en France aussi, les passeports sont biométriques, et lié à l’obtention de la carte NINA (numéro d’identification nationale). Moi j’en ai fait la demande depuis 2010, et je n’ai toujours pas cette carte ! Si je n’ai pas cette carte, je ne peux pas aller au Mali. Heureusement, avec le soutien de militants français, j’ai aujourd’hui la double nationalité... Mais pour les Maliens « de l’extérieur », c’est une situation invivable !
C’est pourquoi nous soutenons activement ce mouvement d’occupation : tous les jours, nous sommes présents, nous nous y relayons. Aujourd’hui, les autorités maliennes ne veulent rien entendre, deux ministres se sont même déplacés pour parler de cette question, sans succès, car les jeunes ont dit niet ! Un autre ministre qui vient de la région de Kaye, 80 % des Maliens vivant en France viennent de cette région, est venu pour discuter avec les jeunes, mais lui aussi sans proposition, avec un même refus des jeunes.
Lors de ses vœux, le président malien a dit qu’il avait entendu les message de la diaspora... On ne veut plus de discours ! Ce qu’on veut c’est du concret ! Il ne faut pas que la biométrique soit liée à l’obtention de la carte NINA. Il faut que nous ayons la liberté de circuler. Voilà la raison pour laquelle nous sommes solidaires de cette lutte.
400 000 jeunes ont créé une association cette année : ce sont des gens qui ont des diplômes, qui peuvent avoir un bac +4, et qui ne peuvent pas continuer leurs études. La fin des études à Bamako, ça n’ouvre la porte à rien du tout. Tu n’as comme choix que de traverser le désert et la Méditerranée. Nous voulons aussi mettre fin à cela.
Justement, 2016 a été l’année la plus catastrophique au niveau des mortEs en mer Méditerranée. Tu fais partie de la Coordination internationale des sans-papiers et migrantEs. Que faire pour répondre à cette urgence ?
Parlons des convergences ! Nous, avec le soutien du NPA et d’autres organisations, nous avons envisagé depuis longtemps de faire de la journée internationale contre le racisme du 21 mars une échéance fédératrice, qui se tiendrait le dimanche 19 mars, pour exiger la fin du système de politique migratoire en Europe.
En 2014, nous avons fait une semaine d’action en Italie. L’opération Mare Nostrum permettait de sauver des vies, et le fait d’arrêter celle-ci a eu pour effet d’accroître chaque année le nombre de morts en Méditerranée. Si on ne fait rien, ça va continuer.
Ce qui peut permettre d’arrêter ces migrations, c’est la justice sociale, une meilleure répartition des richesses, ainsi que l’arrêt des guerres impérialistes. Tout est lié. On a besoin de toutes nos forces pour s’unir le 19 mars. En tout cas, nous allons tout faire pour qu’une mobilisation internationale se tienne.
Cette année est capitale pour nous. Recevoir un sommet africain est significatif : les thèmes abordés sont les mêmes que sous Georges Pompidou ! La Françafrique, la France à fric, ça ne marche pas. Et la jeunesse africaine n’en veut plus !
Propos recueillis par Alain Pojolat