Le texte de Pascal relance le débat sur la question de notre politique vis à vis de l'Union européenne, et c'est très bien parce qu'il est indispensable que nous réussissions à formuler clairement notre démarche sur cette question.
Cette démarche doit combiner la critique de la politique des gouvernements et des bourgeoisies européennes avec l'intégration dans nos raisonnements du fait que l'Europe est devenue l'arène de nos luttes dans la perspective de construire une autre Europe.
Il ne s'agit pas de juxtaposer des exigences contradictoires mais bien de formuler une démarche transitoire au niveau européen.
Il ne s'agit pas uniquement de condamner l'Europe de Maastricht et de la BCE mais bien de discuter des moyens de construire une autre Europe à partir de l'UE et des contradictions à l’œuvre.
Le raisonnement de Pascal, comme celui de celles et ceux qui, à gauche, défendent, sous une forme ou sous une autre, la rupture ou la sortie de l'euro ne se situe pas dans ce cadre-là, mais juxtapose un niveau hexagonal et un niveau européen sans les articuler.
Nous sommes, d'une certaine façon, dans la position du mouvement socialiste à l'époque de l'unification de l'Allemagne par en haut sous la férule de Bismarck, cela au niveau de l'Europe avec des contradictions infiniment plus fortes et du fait de la nature des États en concurrence et de la période historique de crise globalisée du capitalisme.
De ce point de vue, la position des réformistes est plus avancée que celle de bien des anticapitalistes. Cela se voit en particulier en Grèce où leur position recueille plus de sympathies que celle de nos camarades d'Antarsya très influencés par la politique « Sortir de l'euro ». Si la position de Syriza apparaît plus crédible, ce n'est pas que pour des mauvaises raisons, mais aussi c’estparce qu’il y a dans la position d'Antarsya une incompatibilité entre le repli national et la perspective internationaliste.
Refonder l'Europe, non, mais la révolutionner, voilà le cadre de notre réponse. La discussion porte sur le comment ?
La position de LO en 1992, citée par Pascal, mérite attention. Je reprends la citation que fait Pascal : « L’Europe bourgeoise qui se dessine n'est en elle-même ni un bien ni un mal pour les travailleurs. Si les travailleurs laissent les mains entièrement libres à la bourgeoisie, la construction européenne sera à coup sûr un prétexte, sinon la véritable raison de nouvelles attaques contre la classe ouvrière, contre ses droits sociaux, contre son niveau de vie. Mais elle peut devenir un avantage si les travailleurs des différents pays européens se sentent plus solidaires les uns des autres, s'ils se reconnaissent dans les combats qui se mènent de l'autre côté des frontières. » Je partage les deux idées soulignées par Pascal. Quand LO disait, toujours en 92, « dans le débat en cours, si ce n'est évidemment pas le rôle des révolutionnaires de seconder Mitterrand et la direction du Parti Socialiste en dépeignant l'Europe de Maastricht sous des couleurs roses, il n'est certainement pas non plus de la combattre. Car, dans le contexte actuel, ce serait joindre sa voix au chœur des démagogues qui misent sur le nationalisme, de Le Pen à Marchais », la question était d'importance et on ne peut la rejeter d'un revers de main. Au sein même du mouvement trotskiste les influences nationalistes ont fait et continuent de faire des ravages au nom de la république une et indivisible.
Se délimiter de ces confusions répondait à une préoccupation pour le moins légitime.
La gangrène du nationalisme au sein du mouvement ouvrier afait des ravages et alors que le FN mis en selle par Mitterrand et le PC rivalisaient sur cette question se disputant une influence sur la base du recul au sein des classes populaires, l'enjeu politique était autant de s'affirmer pour « l'Europe » que contre l'Europe de la bourgeoisie.
Y répondre n'était pas simple, mais rayer cette question d'un trait de plume n'est pas juste.
Aujourd'hui, les choses ne se posent plus dans les mêmes termes, nos positions politiques ne sont pas atemporelles. Le « A chacun son boche » est loin, quoique, et surtout l'Europe est devenue une réalité historique qui devrait, je dis bien, devrait, s'imposer à nous.
Le premier point en discussion est d'intégrer dans nos raisonnements ce fait que l'Europe est devenue une réalité historique incontournable et qu'elle ne s'effondrera pas comme un château de cartes.
De façon encore plus prégnante qu'en 1992, nos raisonnements doivent partir de ce double constat : l'Europe est une réalité, elle n'est pas le simple produit d'un traité, d'une décision administrative ou politique, et c'est bien à ce niveau que nous devons penser notre politique. Nous en sommes loin, malheureusement. Les réformistes sont plus avancés que nous mais leur réponse est inadéquate.
La question à laquelle nous devons répondre est : comment intégrer la dimension européenne à notre démarche transitoire ou plutôt, comment penser notre démarche transitoire au niveau européen ?
Avant d'aller plus avant dans la discussion de cette question, il est nécessaire de faire la clarté sur le point où se crée la confusion : la rupture avec l'Europe de Maastricht et de Lisbonne passerait nécessairement par la rupture avec la monnaie unique et donc, le retour sur une monnaie nationale pour ensuite engager la bataille pour une autre Europe.
Ce raisonnement est arbitraire, il est une construction qui empêche de penser un processus révolutionnaire, voire, bien plus grave, peut nous amener à mélanger nos voix avec celle des nationalistes aussi fortes que soient nos proclamations internationalistes.
Pas de fétichisme monétaire
La monnaie est un instrument, pas la cause des politiques d'austérité.
Si, dès sa création, le cours de l'Euro a été établi en faveur du patronat allemand, ce n'est pas la monnaie en soi qui en est responsable mais bien les choix politiques qui ont prévalu à sa naissance et les rapports de force. De la même façon, l'ensemble des politiques qui ont abouti à la crise de la dette publique résulte du développement de la logique mise alors en route et accentuée sous les effets de la crise financière de 2008.
Certes, les pays qui font partie de la zone euro ne peuvent pas dévaluer leur monnaie coincés par leur appartenance à la zone euro. Cela ne les empêche nullement de défendre leur position sur les marchés par des politiques de dévaluation en s'attaquant aux salaires avec les mêmes effets qu'aurait une politique de dévaluation monétaire. Et le fait que les Etats puissent à nouveau jouer sur la monnaie et les dévaluations pour défendre la position de leur bourgeoise sur les marchés ne serait en rien un progrès. Personne parmi nous ne le dit mais il faut clairement dénoncer cette politique et ceux qui la défendent, le FN et d'autres, ce qui veut dire, se démarquer sans ambiguïté de la politique de sortie de l'euro.
Non seulement les deux politiques aboutissent aux mêmes résultats du point de vue des classes populaires mais la sortie de l'euro mettrait la classe ouvrière dans une position encore plus difficile pour mener son combat. Et, au final, c'est cette question qui, pour nous, est déterminante.
La spécificité de la crise européenne n'est pas due à la monnaie unique mais aux choix politiques de Maastricht et Lisbonne.
Alors que la crise est née aux États-Unis en 2007, son impact sur l’Union européenne a été beaucoup plus violent que sur les institutions politiques et monétaires états-uniennes. Cela est la conséquence de la logique à laquelle obéit leur Europe : la concurrence à l’intérieur de l’espace européen d’économies et d’États qui ont des forces tout à fait inégales pour favoriser l’accumulation maximum de profits et cela sans un État central capable de réguler la vie économique et d'avoir une politique monétaire. C'est cela qui a créé un terrain particulièrement favorable aux spéculations sur les dettes publiques d'autant que les banques privées ont le monopole du crédit aux États. Ce n'est pas l'euro qui en est responsable mais un choix politique de classe, la multiplicité d’États concurrents qui abandonnent leurs propres prérogatives pour se soumettre aux intérêts privés des banques.
Alors que les besoins de crédit des gouvernements des autres pays développés, dont celui des États-Unis, peuvent être satisfaits par leur banque centrale, notamment par l’intermédiaire de la création monétaire, les pays membres de la Zone euro ont renoncé volontairement à cette possibilité. De par ses statuts, la Banque centrale européenne a l’interdiction de financer directement les États. De plus, en vertu du traité de Lisbonne, la solidarité financière entre les États membres est formellement interdite. Selon son article 125, les États doivent assumer seuls leurs engagements financiers, ni l'Union ni les autres États ne pouvant les prendre à leur charge. L’article 101 du traité de Maastricht, repris intégralement par le traité de Lisbonne, ajoute : « Il est interdit à la BCE et aux banques centrales des États membres […] d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions ou organes de la Communauté, aux administrations centrales, aux autorités régionales, aux autres autorités publiques ».
Et c'est bien là qu'est la cause des spéculations sur les dettes publiques qui ont menacé et menacent encore l'Union européenne d'éclatement.
Au final, si, en collaboration avec le FMI, la Commission européenne n’a pas respecté à la lettre l’article 125 du Traité de Lisbonne cité plus haut, elle en a respecté l’esprit : en effet le FESF et le MES empruntent sur les marchés financiers les moyens financiers qu’ils prêtent aux États en exigeant des contreparties draconiennes : privatisations, réductions des salaires et des retraites, licenciements dans les services publics, réduction des dépenses publiques en général, sociales en particulier.
La crise n'aboutit pas à un effondrement de l'Union européenne mais à son douloureux renforcement
Au plus fort de la crise de la dette, la possibilité d'un effondrement de la zone euro provoqué par la rupture avec ou de la Grèce était très présente. En réalité, la crise de la dette loin d'aboutir à un affaiblissement de la zone euro contribue à renforcer les liens de dépendance réciproque des Etats sous la houlette de l'Allemagne et de la France. Cela pour le plus grand profit des transnationales européennes qui tirent profit de la débâcle de la Périphérie pour renforcer la profitabilité des entreprises et marquer des points en termes de compétitivité par rapport à leurs concurrents nord-américains et chinois. Leur objectif, au stade actuel de la crise, n’est pas de relancer la croissance mais bien de profiter de la débâcle du Sud qui leur offre des opportunités de privatisations massives d’entreprises et de biens publics à des prix bradés. L’intervention de la Troïka et la complicité active des gouvernements de la Périphérie les y aident. Le grand Capital des pays de la Périphérie est favorable à ces politiques car il compte bien lui-même obtenir une part d’un gâteau qu’il convoitait depuis des années. Les privatisations en Grèce et au Portugal préfigurent ce qui va arriver en Espagne et en Italie où les biens publics à acquérir sont beaucoup plus importants vu la taille de ces deux économies.
Les objectifs poursuivis par la direction de la BCE, par la Commission européenne, par les gouvernements des économies les plus fortes de l’UE, par les directions des banques et des autres grandes entreprises privées, est bien d'asseoir leur domination financière et politique. Ils façonnent l'Europe en fonction de leurs intérêts et y soumettent les peuples.
De ce point de vue, la discussion a évolué depuis 1992. On ne peut, en fait, plus dire que la bourgeoisie n'est pas capable de construire l'Europe, elle construit son Europe. Elle le fait en broyant les peuples, en étouffant la démocratie, en accentuant la concurrence et en creusant les inégalités.
Il y a en réalité deux voies, celle du développement de l'Europe-marché capitaliste sous la férule des groupes industriels et financiers, des nations dominantes au prix de tensions sociales et politiques dont les peuples seront les victimes ou la construction d'une autre Europe par l'intervention directe des travailleurs et des peuples. Le débat n'est pas « économique », mais politique, qui dirige au nom de quels intérêts ?
Une stratégie continentale pour une Europe des peuples et de la solidarité internationale
Seules de puissantes mobilisations ouvrières et populaires pourront venir à bout de la stratégie des classes dominantes. De telles mobilisations ne pourront déboucher que si au moins une fraction du mouvement ouvrier les prépare, les pense, les inscrit dans une stratégie globale au niveau du continent. Cette stratégie prend appui sur les exigences sociales et politiques communes.
L’annulation de la dette publique, l’abandon des politiques d’austérité, la taxation massive du grand capital, l’expropriation des banques pour les intégrer à un monopole public bancaire, la revalorisation des salaires, la création d'un SMIC européen, la réduction du temps de travail, la fin des privatisations et le renforcement des services publics sont des mesures essentielles d’un programme alternatif à la construction de l'Europe capitaliste.
Leur mise en œuvre peut commencer dans un pays mais le processus ne pourra pas s’arrêter aux frontières nationales, il faudra un mouvement européen qui impose une authentique constituante des peuples d’Europe afin d’abroger une série de traités européens et faire naître une fédération d’États socialistes. Émergera au cours de ce processus une Europe des peuples qui remettra à plat ses relations avec le reste du monde en établissant avec les peuples victimes des siècles de pillage et de domination européenne ce qui leur est dû.
Mettre en avant la sortie de l'Euro, c'est tourner le dos à un programme d'urgence européen
Dans une telle démarche, il est clair que le mot d'ordre de « sortie de l'euro » ne peut que contribuer à la confusion. Autre chose est la dénonciation des traités qui fondent l'Europe capitaliste. Exiger leur abrogation est une évidence, mais, encore une fois, tirer un trait d'égalité entre les deux n'est pas juste.
La construction d'une Europe des travailleurs et des peuples passe par l'abrogation des traités qui régissent l’Union européenne, la zone euro et la BCE comme, par exemple, les articles 63 et 125 du traité de Lisbonne interdisant tout contrôle des mouvements de capitaux et toute aide à un État en difficulté. Il faut également abandonner le Pacte de stabilité et de croissance. Le MES (Mécanisme européen de stabilité) doit être éliminé. Au-delà, il faut remplacer les actuels traités par de nouveaux dans le cadre d’un véritable processus constituant démocratique afin d’aboutir à un pacte de solidarité des peuples pour satisfaire les besoins sociaux et environnementaux.
Cela implique un changement radical de politique monétaire mais pas nécessairement de monnaie. La BCE s'appuierait sur des monopoles publics bancaires capables de financer une politique économique, sociale visant à satisfaire les besoins fondamentaux des populations.
Les politiques budgétaires et fiscales seraient harmonisées, coordonnées pour qu’enfin émerge une solution « vers le haut » en mettant en œuvre des politiques globales à l’échelle européenne.
Un telle politique au lieu de revenir en arrière prendrait appui sur la monnaie unique, l'appareil statistique, les éléments de contrôle mis en place par les bourgeoisies elles-mêmes. La transformation révolutionnaire de la société ne part pas de rien mais du développement même de la société réalisé sous la férule du capital.
Nous sommes pour une monnaie unique ou les chemins d'une transformation révolutionnaire de l'Union européenne
Nous ne pouvons-nous faire les défenseurs d'un programme qui aurait pour conséquence un repli national même si ce repli se fait au nom d'une proclamation internationaliste. Dire que nous dénonçons les traités de Maastricht et Lisbonne mais pas l'euro en tant que tel, c'est nous situer dans une perspective de transformation révolutionnaire. Il ne manquera pas de gens réalistes pour nous dire que de toute façon la rupture sera inévitable. Qu'en savons-nous ? Quels seront les rapports de force ? Les différences de rythmes entre les différents pays ? Leurs combinaisons à travers des situations de double pouvoir ?.. Ces questions sont ouvertes.
Écrire le programme de ces luttes de l'avenir, c'est tenter d'imaginer un processus révolutionnaire au niveau européen. Un gouvernement anti-austérité en rupture avec les politiques mises en œuvre par les différents États européens, dénonçant les traités européens, mettant en œuvre les principaux éléments programmatiques définis plus haut, appellerait les autres peuples à se soulever pour construire ensemble une autre Europe. Il appellerait à la convocation d'une assemblée constituante pour organiser cette coopération. Il n'aurait pas comme premier souci de créer une monnaie nouvelle mais se battrait dans le cadre de la zone euro pour que l'ensemble des peuples brisent le carcan des traités pour définir un cadre de leur coopération politique et économique.
L'Europe est un fait historique incontournable. Une politique révolutionnaire s'appuie sur ce fait pour aller au-delà, rompre avec l'UE pour construire l'Europe des travailleurs et des peuples.
Yvan Lemaitre (31 janvier 2014)