Entretien. Pierre Puchot est journaliste indépendant. Il a publié en 2018, chez Stock, « Le combat vous a été prescrit : une histoire du jihad en France », coécrit avec Romain Caillet. Nous revenons avec lui, à l’occasion du débat sur un éventuel rapatriement de jihadistes français depuis l’Irak et la Syrie, sur l’actualité du phénomène jihadiste.
On a appris, il y a quelques jours, la mort, dans un bombardement en Syrie, du jihadiste français Fabien Clain. De qui s’agit-il ? Quel rôle jouait-il en Syrie ?
Fabien Clain est né en 1978, donc c’est, en quelque sorte un « vieux de la vieille », c’est-à-dire un jihadiste de la deuxième génération, venue après celle qui avait connu la guerre civile en Algérie. Il a contribué à structurer le jihadisme dans la région de Toulouse, ce que l’on appelle un « recruteur opérationnel ». Il a formé un certain nombre de personnes, avec son frère Jean-Michel, dans la filière dite d’Artigat, qui a voulu envoyer des jihadistes en Irak en 2008. Fabien Clain, comme son frère, a un parcours assez classique, il est allé se former en Égypte et, sans être lui-même un idéologue, maîtrisait bien la vulgate jihadiste. Il a finalement été arrêté en France, et condamné à 5 ans de prison en 2009. Peu de temps après sa sortie, il se rendra en Syrie, début 2015, et va devenir un personnage clé du jihadisme français là-bas, au sein de l’État islamique. Il y retrouve plein de ses camarades et devient un pilier de la communauté jihadiste française, c’est même lui qui revendiquera les attentats du 13 novembre. Il va par la suite être éclipsé par quelques autres, notamment Rachid Kassim, qui s’exprime beaucoup sur les réseaux sociaux au nom de l’État islamique. On avait fini par se demander où il était passé, il avait diffusé plusieurs messages l’année dernière qui indiquait qu’il était toujours en vie, et l’annonce de sa mort a finalement confirmé qu’il était toujours en Syrie.
La mort de Fabien Clain, de même que le débat sur le rapatriement des jihadistes détenus par les Kurdes, a remis la lumière sur la présence de jihadistes français en Syrie. Sait-on à peu près combien ils et elles sont ?
L’année dernière, le ministère de l’Intérieur estimait qu’il y avait encore 700 Français jihadistes sur place, mais depuis certains ont été livrés à l’Irak, à la Syrie d’Assad, détenus par les Kurdes, et d’autres « perdus ». Il en reste probablement plusieurs centaines aujourd’hui, il y a toujours une présence là-bas, entre autres parce qu’il y a eu au cours des dernières années une politique reposant autour du principe : « Il ne faut pas qu’ils rentrent. »
De ce point de vue, les choses semblent avoir changé, puisque la question du retour des jihadistes est aujourd’hui ouvertement posée par les autorités…
Aujourd’hui, le discours que tous les chercheurs un peu sensés et raisonnables tenaient ces dernières années semble avoir enfin été entendu : il faut faire revenir ces gens, les juger, afin de provoquer une prise de conscience quant au phénomène jihadiste, et ne pas les laisser sur place, où ils pourraient être soit relâchés dans la nature, soit soumis à des procès tout sauf démocratiques…
Pourquoi les chose ont-elles changé ?
Le grand problème de la question du rapatriement et du jugement des jihadistes est qu’elle est soumise au temps politique. Le temps du jihad est un temps long, le jihad en France commence au début des années 1990, avec la première cellule du GSPC [Groupe salafiste pour la prédication et le combat], en solidarité avec le GSPC, qui s’installe en France, qui se construit, avec peu à peu des centaines, voire des milliers de candidats potentiels au jihad. On parle d’un mouvement historique, avec des ramifications internationales, une vraie lecture du monde, etc.
Or, jusque récemment, le ressenti du 13 novembre était encore jugé trop fort par les politiques, et du coup la majorité d’entre eux tenaient un discours certes réactionnaire mais aussi émotionnel, alors qu’il s’agit d’être rationnel, en appréhendant le jihadisme comme un phénomène de long terme, qui ne peut se satisfaire de réponses de court terme, émotionnelles, de politiques de courte vue. La question qui est posée est de se donner le moyen de procès publics, permettant d’analyser et de comprendre le phénomène jihadiste. Certains parlent d’un « Nuremberg du jihad », la formule est malheureuse mais l’idée est là : considérer le jihadisme de manière rationnelle, historique, le juger en toute transparence, au nom des lois, pas des émotions, en toute rationalité.
Cela semble être l’idée d’une partie des autorités, même si c’est aussi sous la contrainte, avec les Kurdes qui menaçaient de relâcher leurs prisonniers dans la nature. Et ce même si, en outre, la visite de Macron en Irak tend à indiquer que certains voudraient croire que l’Irak pourrait être un allié sur cette question. Or, et ce n’est pas faire injure aux Irakiens que de dire cela, avec la guerre civile, les difficultés énormes de l’État, etc., leur système judiciaire est à l’image de ce qu’est le pays, sans oublier que la peine de mort y est pratiquée… On peut donc douter que l’Irak puisse être un allié dans ce domaine.
Mais l’idée de grands procès en France pourrait néanmoins suivre son cours, et ce serait l’occasion d’entendre tous ces gens qui travaillent sur la question, parfois depuis longtemps, des chercheurs, des avocats, des association de victimes, etc. Ce type de procès pourrait être l’occasion de les entendre, et d’élaborer des réponses autres que purement répressives…
Propos recueillis par Julien Salingue