La mobilisation du 14 novembre dans le secteur de la santé a été impressionnante. Elle montre que ce secteur, malgré les assignations, malgré le turn-over dans un partie des services, est capable de grandes luttes. Deux syndicalistes, éluEs du personnel de l’APHP, nous donnent leur vision de cette mobilisation.
Pouvez-vous revenir sur la mobilisation dans la santé depuis le début de la grève aux Urgences ?
La grève des Urgences a commencé il y a à peu près huit mois à Saint-Antoine. Les agents sont régulièrement agressés, mais il y a eu l’agression de trop. Il y a donc eu révolte contre les conditions de travail et les agressions, sans parler des salaires de misère… Les personnels se sont donc mis en grève. Lariboisière et Tenon ont suivi. Ils ont pris leurs affaires en main et se sont auto-organisés. Sans les attendre pour se mobiliser, ils sont allés voir les organisations syndicales pour le préavis de grève à déposer. Il y a quelque chose qui pèse encore à l’AP-HP, c’est la défaite contre la réforme de l’Organisation du temps de travail de 2015. À cette occasion, les syndicats ont perdu une part de leur crédibilité en termes d’outils de lutte collective. Cette défaite, l’affaiblissement des syndicats, les élections professionnelles en décembre 2018 qui ont vu la participation s’effriter voire s’affaisser dans un certain nombre d’hôpitaux. Tous ces éléments combinés à l’irruption des Gilets jaunes, ont conduit nombre de personnels à prendre conscience qu’il fallait qu’ils prennent leurs affaires en main. C’est ce qui a rendu crédibles les propositions de lutte aux yeux des collègues des urgences qui se sont massivement engagés dans le Collectif Inter-Urgences. Quelques syndicalistes en étaient partie prenante dès le départ. Conscients qu’ils n’arriveraient pas à gagner seuls sur leurs revendications – 300 euros pour touTEs, une augmentation des effectifs en fonction des besoins, et une réouverture des lits d’aval1, ils ont appelé à la mobilisation tous les services d’Urgences de l’APHP et ensuite sur tout le territoire.
Qu’est-ce qui explique qu’il n’y ait pas de répression contre les personnels mobilisés ?
S’il n’y a pas répression à notre connaissance, c’est en partie parce que l’encadrement a été solidaire, les médecins urgentistes aussi, même s’ils ne sont pas rentrés dans la lutte. Dans toutes les réunions de négociation avec les directions, il y avait une bienveillance de leur part. Il faut dire qu’il y a eu quand même une victoire en faveur des Urgences de l’APHP, avec l’obtention de 230 postes – même s’il est difficile de les recruter concrètement –, une prime « one shot » de 250 euros plus une prime de Buzyn, de 100 euros. Même si rien n’a été obtenu sur les lits d’aval. La province par contre, a été la perdante de l’affaire, ils n’ont quasiment pas eu de postes et seulement la prime Buzyn.
Aujourd’hui, cadres et médecins sont entrés dans la lutte avec le Collectif Inter-Hôpitaux qui s’inscrit dans le prolongement du Collectif Inter-Urgences et donne un nouveau souffle à la résistance des hospitalièrEs. Même des directeurs d’hôpitaux commencent à se rebiffer contre la politique qu’on veut leur faire mettre en œuvre mais leur devoir de réserve leur interdit de l’exprimer.
Comment s’est déroulée la transition vers le mouvement actuel ?
La grève des Urgences se poursuit en province, mais moins médiatisée. Le déclin du Collectif Inter-Urgences était engagé quand ses revendications ont été reprises par le CIH, Collectif Inter-Hôpitaux, à l’initiative de médecins et de professionnels de la santé de toutes catégories professionnelles, et élargies à l’ensemble de la communauté hospitalière.
Les animateurs et animatrices du CIH sont issus du Mouvement de Défense de l’Hôpital Public, MDHP, à l’époque de la lutte contre la loi Bachelot, en 2009. Jusqu’à maintenant, les médecins avaient été plus ou moins préservés, c’était les paramédicaux qui morflaient. D’abord tous les services périphériques aux lits de soins. Il y a eu beaucoup d’externalisations, de privatisations – la restauration, le nettoyage, les services techniques, la sécurité, les travaux…
Le dernier étage de la fusée à laquelle s’attaque aujourd’hui le gouvernement, ce sont les soins. Les médecins ont fini par être touchés dans leur propre chair : manque de médecins, peu de pouvoir sur les décisions prises au niveau de la gestion administrative des hôpitaux, perte de sens de leurs métiers, moins de personnels dans leurs services, obligation de fermer des lits et d’accepter des suppressions de postes… Nous nous sommes mobilisés avec le MDHP en 2008 contre la loi Bachelot. Ils y ont perdu une partie de la gouvernance mais sont vite rentrés dans le rang contre quelques postes, des promesses et des miettes. Mais aujourd’hui, ils ont été touchés à l’os
Quel est l’investissement des différentes catégories de personnels ?
Pour l’instant ce sont beaucoup plus les personnels médecins qui sont mobilisés. Les organisations syndicales agissent pour que les personnels non-médicaux c’est-à-dire les paramédicaux mais aussi les ouvriers et les administratifs, prennent part à ce mouvement et s’expriment dans les assemblées générales.
Il y a beaucoup de défiance vis-à-vis des médecins car, à chaque fois que les collègues se sont battus, ils n’avaient pas les médecins à leurs côtés. On a donc du mal à convaincre nos collègues de rejoindre le CIH, de participer aux AG et aux actions. On explique qu’aujourd’hui les médecins sont d’accord avec nous, qu’ils reprennent nos revendications et donc qu’il faut les prendre au mot. Si on ne les lâche pas, ils ne vont pas pouvoir facilement nous abandonner en rase campagne.
Pour le CIH, le plan Buzyn-Philippe est une insulte aux hospitalièrEs. Pas mal de choses ont été annoncées mais rien concernant les revendications fondamentales du mouvement. D’abord une reprise partielle de la dette des hôpitaux, 10 milliards sur 30. Mais une reprise partielle de la dette, c’est continuer à mettre la pression sur les hôpitaux car on leur laisse une dette conséquente. Nous sommes pour l’annulation de cette dette illégitime nourrie par l’étranglement financier des établissements qui s’endettent pour fonctionner. La tarification à l’activité n’est pas du tout adaptée à ce qu’on fait et les tarifs ne sont pas du tout adaptés donc il faudrait changer le financement de l’hôpital.
Comme l’hôpital est financé à partir d’une enveloppe fermée, l’ONDAM2, votée chaque année à l’Assemblée nationale, pour continuer à fonctionner malgré tout, les hôpitaux se sont endettés auprès des banques privées. Ces prêts, pour beaucoup d’hôpitaux de province, étaient toxiques et coulaient les hôpitaux.
C’est le mode de financement qui a contraint les directions hospitalières à contracter des prêts. Donc supprimer une partie de cette dette, c’est inviter les hôpitaux à s’endetter à nouveau puisque l’enveloppe reste fermée.
Il y a l’annonce d’une prime de 100 euros nets par mois qui serait versée dès 2020 aux aides-soignantEs et une partie des personnels de gériatrie. Il y aurait une prime au mérite de 300 euros par an selon des critères que les hôpitaux définiraient, une prime de 800 euros par an pour les 40 000 infirmierEs et aides-soignantEs travaillant à Paris et en petite couronne gagnant moins de 1900 euros mensuels – soit 66 euros par mois, on voit mal comment ils vont réussir à se loger mieux avec ça… Il y avait aussi une remise à plat des statuts de praticien hospitalier pour répondre à la pénurie, une nouvelle gouvernance hospitalière, c’est-à-dire donner plus de pouvoir décisionnaire aux médecins qui pourraient même accéder au statut de directeur d’hôpital. C’est leur donner plus de pouvoir de décision dans une sorte de cogestion de la misère. Puis pour lutter contre l’intérim médical il y aurait une sorte de contrôles sur les « mercenaires », les médecins qui exigent de fortes rémunérations.
Il y aurait une prime d’engagement dans le service public, principalement réservée aux médecins et qui serait ouverte au personnel non médical dont les métiers sont en tension, du fait de la pénurie produite par l’assèchement des budgets formation. Plus des primes de coopération de métier, pour des infirmierEs spécialiséEs, bref un saupoudrage, inéquitable, de miettes.De plus, ce saupoudrage se fait au détriment de la province. Il y a une différence de traitement entre les catégories professionnelles. À notre dernière assemblée générale, tout le personnel administratif, technique, les assistantes sociales… était quasiment debout sur les tables en disant « il n’y a rien pour nous, nous aussi on est l’hôpital ! ». Ce saupoudrage peut envenimer les relations entre les catégories professionnelles au sein de l’hôpital et entre Paris et la province. Nous, c’est une augmentation en points d’indice équivalente à 300 euros nets pour toutes et tous, que nous exigeons.
Comment voyez-vous la suite de la mobilisation ?
Nous étions un millier à l’assemblée générale nationale qui a suivi la manifestation du 14 novembre qui a rassemblé plus de 15 000 hospitalièrEs. Sur la fin, la discussion s’est envenimée sur les actions et les suites. La question du 5 décembre a été posée et a été très brutalement évacuée par la présidence de séance du CIH. Empêchant des participantEs de s’exprimer, arrachant le micro, des membres du CIH national ont affirmé qu’il n’y aurait pas d’appel au 5, qu’il ne fallait pas mélanger les genres. Ceci s’explique, car il ne faut pas perdre de vue qu’une partie non négligeable des médecins sont plutôt proches de Macron et apprécient positivement « son plan d’urgence » quand d’autres ne veulent pas de la convergence des luttes. Ce comportement très antidémocratique a choqué beaucoup de gens, y compris des médecins qui sont revenus en disant que ça leur avait foutu la gueule de bois, qu’on va dans le mur s’il n’y a pas de démocratie dans le mouvement. Une dynamique est engagée et il faut que les syndicats s’y engagent pleinement. Que dans tous les hôpitaux se constituent des CIH locaux ouverts à touTEs, avec des AG souveraines et que nos collègues, les « prolétaires de l’hôpital » se mobilisent, fassent valoir leurs revendications et que les choses bougent pour le 5 décembre. Déjà plusieurs Collectifs locaux ont pris position en faveur de cette date. Avant ça, le 30 novembre, il y aura eu des actions locales dans chaque établissement. Et il y également l’échéance du 17 décembre qui se traduira peut-être par une nouvelle manifestation nationale à Paris.
On ne renonce pas à ce que le CIH national change de position sur l’appel au 5. La proposition d’une manifestation le 30 pour y associer les usagers va finir par apparaître pour ce qu’elle est, un contre-feu au 5 décembre, suivi d’une proposition d’une action le 17, à une semaine de Noël. Il y aura donc des possibilités de faire entendre une autre orientation. On est vraiment à la croisée des chemins avec cette bagarre pour que les hospitalièrEs participent au 5.
Propos recueillis par Antoine Larrache
- 1. De plus en plus de lits sont fermés suite aux restructurations, aux fermetures de services et aux fusions d’hôpitaux. À chaque fois que des hôpitaux ou des services fusionnent, on diminue le nombre de lits. Le gouvernement prétend compenser cette perte avec le développement de la chirurgie ambulatoire – il veut atteindre 70% de chirurgie ambulatoire – mais on n’arrive pas à compenser les fermetures. Du coup, quand les patients arrivent aux urgences, il n’y a plus de lits disponibles pour hospitaliser. Parfois ils sont hospitalisés dans des services qui n’ont rien à voir avec leur pathologie. Il faut obtenir l’arrêt des fermetures de lits et même de nouvelles ouvertures… pour éviter que des patients restent des heures, des jours, voire décèdent sur des brancards.
- 2. Objectif national de dépenses d'assurance maladie.