C’est en tout cas le diagnostic… des Renseignements généraux, qui dans une note confidentielle du 5 mars 2015, révélée par Le Parisien, décrivent entre autres un « service des urgences malade d’un engorgement massif (…) Aussi syndicats et personnels médicaux dénoncent le stress et l’épuisement des équipes de soin, n’hésitant plus à parler de "burn out". »
Douze ans après la canicule de 2003 et ses 15 000 morts, tous les gouvernements n’ont fait qu’asphyxier toujours davantage les hôpitaux, qui crèvent du sous-effectif chronique et de la suppression de toujours plus de lits. Car l’avenir serait à la médecine « ambulatoire » : il faut que les malades restent hospitalisés le moins longtemps possible ! Le socialiste Le Guen avait d’ailleurs justifié la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu, en plein cœur de Paris, en osant affirmer qu’il fallait « rompre avec une conception misérabiliste de l’hôpital » et développer « l’hôpital debout ». Après le décès d’une patiente transférée aux urgences voisines de Cochin, et morte faute d’une prise en charge assez rapide, le ministère proposait de « fluidifier davantage les parcours » grâce à des nouveaux logiciels de gestion des accueils. Cet hiver, on a vu les excellents résultats de cette politique, avec l’explosion des urgences face à l’afflux des malades de la grippe, et de nombreuses morts qui auraient pu être évités.
Libéralisme dans la santé : un cancer généralisé
Mais si les urgences apparaissent pour l’instant comme le « maillon faible » de l’hôpital, c’est parce qu’elles sont le point de convergence de toutes les pathologies de l’hôpital public et au-delà de tout le système de soins. L’inflation des dépassements d’honoraires et des déremboursements conduit de plus en plus de gens à s’adresser aux urgences, qui peinent ensuite à « recaser » des malades dans d’autres services, car les « actes » destinés à soigner des personnes âgés ou en détresse sociale risquent de ne pas être « rentables » au vu des critères de financement des hôpitaux par le système de la « T2A », la tarification à l’activité… Alors le bouchon des urgences s’allonge, des patients, parfois très âgés, restent sur des brancards pendant plusieurs jours, les personnels sont au bord de la crise de nerfs.
C’est tout le système public de santé qui crève de l’austérité et pourrait vérifier la conclusion de la note des RG : « ce constat est à l’origine d’un certain mécontentement qui s’est caractérisé par quelques rassemblements dans l’Hexagone. (…) Compte tenu de la fragilité économique des établissements hospitaliers et des annonces de restrictions budgétaires qui devraient être communiquées dans les prochaines semaines (…), quelques mouvements de protestation pourraient prendre corps. »
En effet ! Libération a révélé le 8 mars un texte « confidentiel » du ministère de la santé, intitulé « Kit de déploiement régional du plan ONDAM à destination des ARS ». Traduction de cette poésie bureaucratique : plan sur trois ans de la baisse des dépenses (l’ONDAM est l'objectif de dépense publique de santé voté par le parlement) orchestrée par les Agences régionales de santé, chargées de coordonner et surtout restructurer les établissements. L’objectif : 10 milliards d’économies d’ici 2017, dont 3 dans les hôpitaux publics. Il faudrait économiser 1,2 milliard d'euros en mutualisant les achats hospitaliers ; 400 millions en développant la chirurgie ambulatoire ; 600 millions en réduisant les durées de séjour ; et enfin 860 millions d'euros par « la maîtrise de la masse salariale ». En clair : la suppression de 22 000 emplois dans les hôpitaux !
Une contestation profonde
Alors, bientôt l’explosion, partout, de la colère des personnels ? En tout cas, à l’heure où nous écrivons, alors que la loi Touraine est en débat et que différentes corporations libérales descendent dans la rue avec des revendications réactionnaires1, il y aussi une montée de la colère des salariés.
Les urgences des hôpitaux du Mans, de Tours, d’Orléans, de Clermont-Ferrand sont dans la grève et dans la lutte. En janvier, plusieurs hôpitaux bretons sont allés manifester et envahir l’ARS de Rennes. Liste non exhaustive. Sans préjuger de l’avenir, il semble émerger une contestation profonde, qui ne reste pas cantonnée aux revendications d’une corporation (comme les infirmiers et infirmières anesthésistes ou les sages-femmes qui se sont longuement battus pour leur statut), avec la volonté de militants syndicalistes et de personnels non syndiqués (dont certains ont constitué la « Convergence des hôpitaux contre l’hôstérité ») d’élargir leur révolte dans deux directions : mobiliser la population de leur région, faire converger les luttes de tous les établissements de santé.
Yann Cézard
- 1. Lire à ce propos le dossier de L’Anticapitaliste Hebdo du 26 mars et l’article sue ce sujet de notre revue de janvier 2015 (n° 61, pages 4-5).