Un point de vue sur la question de la vaccination, à la lumière de la situation sanitaire en France, des politiques gouvernementales et des récentes mobilisations.
Une fois pour toute, disons-le en introduction : Macron et ses gouvernements successifs ont enchaîné les déclarations d’autosatisfaction qui ont peu de rapport avec la réalité épidémiologique et humaine de la pandémie, et ils sont les seuls responsables des ratés concernant les masques, les protections, les échecs du dépistage, les décisions de confinement à contretemps, et des dizaines de milliers de morts évitables que ces décisions ou absences de décision ont provoqué. Ils sont aussi responsables de ce mode de communication (con)descendante qui est la marque et la traduction du mépris dans lequel ils nous tiennent nous, « pauv’ cons », comme aurait dit Sarkozy. Le monarque, ne réunissant son « conseil de défense » que pour donner à croire qu’il ne décide pas seul, donne à voir une mascarade dont personne n’est dupe, pas même ses courtisans qui l’ont élu « meilleur épidémiologiste de France ».
Doutes raisonnables ?
Et puis les gouvernants n’ont pas été les seuls à pipeauter : le laboratoire Gilead, lorsqu’il a vendu à prix d’or le remdésivir à l’Union européenne sur la base d’études préliminaires laissant espérer une activité de ce produit contre la Covid-19, connaissait déjà les résultats d’une étude plus vaste qui ruine ces espoirs et prouve que son administration ne change pas le pronostic de la maladie. L’industrie pharmaceutique n’en est pas à son premier mensonge, elle a plus d’une fois essayé de camoufler les effets secondaires de ses produits. Ici cependant, on est plutôt dans une autre forme de tromperie, pas plus éthique évidemment, qui consiste à vendre vite au plus fort prix un produit pas plus actif que la poudre de perlimpinpin. Cela fait des décennies que ça marche pour l’homéopathie, pourquoi se gêner avec les antiviraux ?
Mais au-delà de ces aspects délibérément trompeurs, il y a eu des problèmes d’interprétation de faits exacts mais pas nécessairement significatifs : ainsi, la question des thromboses chez les personnes vaccinées : après vaccination, certaines personnes ont développé des problèmes de coagulation (thromboses [caillots dans les vaisseaux], embolies [occlusion des vaisseaux par ces caillots]), dont certains ont conduit à des décès. Ces accidents sont-ils pour autant dus au vaccin ? Dès qu’on les signale, a fortiori dès qu’on arrête un essai, comme il est normal, quand ils sont signalés, la presse met cela à connaissance du public, et celui-ci, comme souvent les journalistes, induisent de la séquence « vaccin puis thrombose » l’explication « le vaccin provoque la thrombose ». Or quand on vaccine des centaines de milliers de personnes, il est inévitable que chez certaines surviennent des thromboses, puisque celles-ci sont fréquentes en absence de vaccin. Mais comment prouver alors qu’elles ne sont pas dues au vaccin ? Ce n’est pas si simple : il faut vérifier que leur fréquence n’est pas augmentée. C’est avec ce type d’étude qu’on a fini par éliminer le lien entre vaccin anti-hépatite B et sclérose en plaques (SEP). Mais les années d’incertitude avant qu’on conclue à l’absence de lien a laissé un doute dans l’esprit de nombreuses personnes. Et ce doute s’est étendu à de nombreux autres vaccins.
Dans le même ordre d’idée, il est difficile d’accepter que tout ne soit pas noir ou blanc dans un domaine où c’est la vie qui est en jeu : le vaccin ne protège pas 100 % des personnes vaccinées ; et selon qu’on parle d’empêcher les formes graves, le risque de décès, le risque d’hospitalisation, la contamination ou la transmission, les pourcentages de « succès » du vaccin varient du simple au double (et aussi, d’ailleurs, selon le vaccin injecté, ce qui ne simplifie pas l’affaire). Alors, on trouve des commentaires qui vont jusqu’à dire qu’il ne sert à rien puisqu’il ne protège pas absolument de la maladie ni du décès. Il est plus facile à un soignant, qui voit au quotidien la relative efficacité de tous les traitements, d’admettre qu’un soin puisse être à la fois efficace et limité. Ce n’est certes pas l’idée qu’on aimerait s’en faire, ni celle qu’on retrouve sur les sites dénonçant les vaccins comme une supercherie.
Discours délirants
Mais ce qu’on trouve sur internet au sujet des vaccins en général et des vaccins anti-Covid en particulier va très au-delà du doute raisonnable. On trouve en particulier ce qu’il faut bien appeler des discours délirants. C’est certes assez absurde de croire qu’on « manque de recul », qu’on est encore un cobaye quand quatre milliards de doses ont déjà été injectées, mais cela n’est pas du même registre que de penser qu’il y a au cœur de ce qui est injecté des nanomolécules qui sont autant de chevaux de Troie de la 5G. Ce type de discours délirants est l’expression de pensées délirantes, confortées par ce que l’on peut lire sur Internet. On connaissait depuis longtemps les délires à deux ; il existe aussi des délires à N ; le phénomène est vieux comme les sectes, mais très renforcé aujourd’hui par l’ « information » glanée sur Internet. On peut imaginer que Dieu, le diable, les martiens, les Chinois, les juifs, le Parti démocrate-dirigé-par-ses-dirigeants-corrompus-et-pédophiles soient à l’origine de la pandémie et/ou de la « propagande pro-vaccin » : on trouvera toujours sur le Web un alter ego pour penser comme soi. On insiste beaucoup dans les médias sur le fait que dans les manifs dites anti-passe sanitaire le complotisme est minoritaire. C’est sans doute vrai, si l’on songe à ces discours extrêmes ; mais pour autant, il est fréquent d’entendre « ils veulent nous faire croire que… ». Qui ?, derrière ce « ils », demandent certaines pancartes qui répondent par une kyrielle de noms supposément juifs… Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg : des études ont montré que derrière les sites anti-vaccin, nombreux sont les activistes d’extrême droite, et qu’ils croient ou non dans leur discours n’est pas la question principale : c’est l’effet produit mobilisateur sur les lecteurs, dans un sens réactionnaire, qui est essentielle à leurs yeux.
Mais chez nos collègues, nos voisins, nos cousins qui refusent le vaccin « qu’on veut nous imposer », il y a souvent un amalgame de pensées du type « ils veulent une fois de plus nous avoir », « pas de fumée sans feu » et « tout est dans tout » : le gouvernement, « Big pharma », les médecins… Comme nous l’avons dit, il est certain que n’ont pas cessé les attaques contre les soignants, à l’initiative du gouvernement actuel qui n’est pas avare de coups portés à notre classe ; il est exact que l’industrie pharmaceutique est tout sauf un modèle de transparence et d’éthique, et tout aussi certain que les médecins ne sont pas plus infaillibles que le pape… Ou peuvent déjanter, comme Raoult ou Joyeux, après Montagnier. Mais derrière la crainte de « se faire avoir », il y a un raisonnement sans logique : nous avons des ennemis qui promeuvent le vaccin, donc le vaccin est une arnaque. Pas plus logique est le raisonnement « le Pass sanitaire restreint nos libertés pour nous imposer sans le dire la vaccination (ce qui n’est pas discutable) donc défendre nos libertés c’est refuser la vaccination » ! Taxer ces raisonnements de complotistes est aller trop vite dans un jugement méprisant : le vécu d’oppression, d’aliénation, d’exploitation voire à un degré moindre de frustration favorise à l’évidence les explications « globalisantes », les « ils », les « on ». Mais nous ne rendrons service à personne en validant ce type de discours.
La collectivité gagnerait à ce que tout le monde soit vacciné
Les collègues soignantEs, pompierEs, etc. qui refusent d’être vaccinés ont tort, pour eux-mêmes et pour la collectivité : rien ne peut justifier de s’exposer à une maladie potentiellement mortelle ou cause de graves séquelles alors qu’il existe des moyens imparfaits certes mais réellement efficaces en termes de réduction des risques ; et rien non plus ne peut justifier d’exposer autrui. Mais parmi elles et eux, peu adhèrent à une vision délirante, une minorité seulement à une vision dite « complotiste », une majorité à un sentiment de colère accentuant la réactance (« on veut me l’imposer donc je refuse »). C’est notamment le cas aux Antilles, après les dommages énormes liés à l’usage d’un pesticide (le chlordécone) interdit en métropole dès 1990 mais autorisé jusqu’en 1993 dans les Îles. Notre posture doit comporter de l’empathie : il faut reconnaître la colère, et ses raisons ; mais aussi y associer deux attitudes ; permettre au collègue, à l’amiE, d’explorer ce qu’il ou elle gagnerait à être vacciné(e) — et ce que la collectivité gagnerait à ce que tout le monde soit vacciné ; et apporter ensuite des informations vérifiables et validées sur les bénéfices de la vaccination, et les origines de l’infox (sites réactionnaires et fascisants, pour l’essentiel). Défendre les collègues contre les sanctions est un devoir de solidarité.
Mais pour l'auteur de cet article, l’obligation vaccinale anti-covid n’est pas moins légitime que celle de la limitation de vitesse, puisqu’elles ont toutes deux pour vocation unique de sauver des vies, et chacun doit assumer les sanctions qui se rattachent au non-respect de ces obligations. On peut râler contre les radars, mais pas contre l’accidentalité et la mortalité routière divisées par quatre en 40 ans, pour l’essentiel grâce à la limitation de vitesse.
Ce n'est pas l'avis des animateurEs de la commission santé-sécu-social du NPA qui estiment qu'il vaut mieux convaincre que contraindre car l'autoritarisme n'est pas efficace. C'est par la vaccination généralisée à l’échelle mondiale donc par la levée des brevets , et par des politiques sanitaires ambitieuses notamment en « allant vers » les populations les plus défavorisées que la pandémie sera vaincue.