Dans la lutte contre l’extrême droite dont l’actualité ne cesse de rappeler la menace, tous les outils sont à considérer sinon à mettre en œuvre indistinctement, et ce livre se définit précisément comme « un instrument ».Dans De la misère symbolique (2004, réédité en « Champs Flammarion » à l’occasion de la parution du présent volume), B. Stiegler, directeur de l’Institut de recherche et d’innovation du centre Pompidou (avec le soutien d’universités étrangères mais aussi d’Alcatel et de Microsoft) et membre du Conseil national du numérique, faisait part de sa révélation au lendemain du 21 avril 2002 : les électeurs du FN « ne se sentent plus appartenir à la société », tout se passant « comme si nous ne partagions aucune expérience esthétique commune ». En 2013, l’auteur estime qu’à côté de ce qu’il nomme la « désymbolisation », c’est « le sentiment d’impuissance et d’incapacité à faire » qui « est la cause première du fait que 37 % des Français partageaient les idées du Front national au mois de mai 2012 ». Proportion qui ne peut que s’accroître s’il n’est pas mis fin à l’« immense processus d’incapacitation lui-même fondé par une série de désapprentissages » ayant marqué le dernier siècle, et dont les objets techniques doués de « mémoire », l’industrie numérique et le neuromarketing auront été parmi les vecteurs les plus évidents, mettant à mal les capacités d’expression et d’attention indispensables à l’accomplissement individuel et social.Laissant à d’autres les terrains sociaux, politiques, culturels où se joue aussi la progression ou l’endiguement de l’extrême droite, B. Stiegler propose un programme de « recapacitation » et de « rééducation nationale » supposant des gouvernants décidés à le mettre en œuvre, et non ralliés à un néolibéralisme dont B. Stiegler décrit lui-même la responsabilité dans la progression de l’extrême droite.
Gilles Bounoure
Essai : Pharmacologie du Front NationalBernard Stiegler, Flammarion, « Bibliothèque des savoirs », 2013, 23 euros