Dans l’Anticapitaliste du 22 juin, nous avions abordé le thème de la prison. Nous revenons sur la lutte contre les violences carcérales dans un entretien avec Najet Kouaki, qui a créé l’association « Idir, espoir et solidarité » et est membre du Réseau entraide, vérité et justice, pour le respect et la dignité des détenuEs.
Qu’est-il arrivé à ton fils Idir et comment faire éclater la vérité ?
Je suis la maman d’Idir, un jeune homme de 21 ans qui a été incarcéré à la prison de Corbas1 dans l’attente de son jugement, à la suite d’une conduite sans permis en course poursuite.
En Algérie, Idir s’insurgeait déjà contre la société conservatrice et rêvait d’un monde plus juste, où les femmes seraient les égales des hommes. Arrivé en France pour trouver une vie meilleure, il a pu donner un sens aux mots discrimination et racisme, et sa révolte s’est traduite par une volonté de mettre la société face à ses contradictions. Cela l’a conduit en prison, comme tout jeune révolté par ce monde.
Le 9 septembre 2020, j’ai été appelée par la prison de Corbas, qui m’annonçait qu’Idir avait été retrouvé pendu dans sa cellule du mitard.
Le détenu de la cellule voisine a témoigné que trois geôliers les avaient tabassés. Il a expliqué qu’il avait été frappé et subi une clé d’étranglement, jusqu’à ce qu’il voie la mort arriver. Il a entendu crier dans la cellule à côté : c’est l’embrouille qui a conduit à la mort d’Idir.
J’ai déposé plainte pour homicide volontaire, après ce témoignage et en raison des nombreux faits qui contredisent la version des geôliers.
À ce jour, devant la réalité des faits, j’ai la conviction que l’appareil judiciaire laisse les preuves s’amenuiser. Il n’y a eu aucune enquête sérieuse, et les matons mis en cause exercent toujours.
Peux-tu nous parler des violences subies aussi par les familles de détenuEs ?
La première des violences est l’atteinte aux droits et libertés des familles, à leur dignité, par des humiliations et tortures psychologiques nombreuses.
Par exemple, l’administration accorde un droit de visite. La famille va s’organiser pour venir visiter son proche emprisonné, en faisant souvent des centaines de kilomètres, en train, taxi ou bus, en prenant du temps, une chambre d’hôtel, en engageant des frais de garde pour les enfants… et c’est seulement devant les grilles de la prison que les geôliers annoncent à la famille le retrait de ce droit de visite.
Alors que ces familles se retrouvent souvent fragilisées financièrement, car c’est souvent le soutien de famille qui est emprisonné. Imaginez le choc de ces familles, qui engagent des centaines d’euros et sont traitées comme des sous-humains sans droit. Il n’est pas normal que l’administration ne fasse pas l’effort d’informer les familles du retrait du droit de visite.
La prison est un lieu où les violences physiques commises sur les prisonniers sont courantes. La famille n’est jamais informée. C’est souvent d’autres détenus qui vont informer de faits graves, comme cela a été le cas dans le meurtre de Medhi Berroukeche2. L’administration n’a informé la famille que quatre jours après les faits. C’est la démonstration d’un mépris qui n’est pas acceptable dans une société dite moderne et dans un pays qui donne des leçons aux autres, alors qu’ici, c’est la même chose et parfois pire !
Les familles doivent aussi faire face à des propos racistes de la part de certains geôliers.
Qu’apporte le Réseau d’Entraide Vérité et Justice aux familles de victimes ?
Le Réseau d’Entraide Vérité et Justice a été constitué par le collectif Vies volées créé à la suite de la mort de Lamine Dieng, tué par la police : il regroupe des comités de familles de victimes de violences policières et pénitentiaires. Il a pour objectif d’échanger et de mutualiser les actions.
Il a aussi pour mission d’apporter une aide aux nombreux collectifs qui se créent à chaque meurtre policier ou pénitentiaire, car chaque année, c’est plus de 170 jeunes, arabes et noirs pour la majorité, qui tombent sous les balles des fonctionnaires de police et plus de 250 meurtres supposés selon notre association en prison.
Nous recherchons la vérité et la justice. Les familles et militantEs des droits humains qui sont dans ce réseau militent pour demander la fin des bavures policières et pénitentiaires, mais aussi des meurtres et la fin de l’impunité dont bénéficient les mis en cause. Il s’agit de lutter contre un système de répression qui défend les plus riches et perpétue les inégalités sociales.
Il y a un manque évident d’impartialité dans les enquêtes en prison. Nous réclamons la création d’une institution indépendante. Il n’est pas normal que des magistrats enquêtent sur d’autres fonctionnaires de justice que sont les geôliers, souvent les affaires se soldent par des classements sans suite ou des non-lieux.
Votre revendication phare est la fermeture des quartiers disciplinaires. Que s’y passe-t-il ?
Le mitard est un lieu de torture psychologique et physique, où les détenuEs isolés font l’objet de traitements barbares. L’avant-veille de la mort d’Idir, l’eau et électricité avaient été coupées par ses geôliers. Idir et un autre prisonnier ont été obligés de boire l’eau des toilettes pour ne pas mourir de soif. Le mitard ou quartier disciplinaire est un outil pour briser les plus « indisciplinés », qui sont en réalité les plus rebelles. Il s’agit pour l’administration pénitentiaire de punir le prisonnierE sur une simple parole parfois, celle du geôlier. Les prisonnierEs, qui subissent déjà l’enferment et sont dans une vulnérabilité importante, se retrouvent alors à la merci d’agents dont certains ont la réputation sûrement méritée de tortionnaires. Ces lieux de torture doivent disparaître.
Pourquoi une journée nationale de mobilisation (organisée le dernier dimanche de chaque mois de mai) ?
J’ai mis en place cette journée nationale, car s’il existe beaucoup de collectifs pour dénoncer les violences policières, les associations de défense des prisonnierEs et de dénonciation de crimes pénitentiaires sont quasiment inexistantes. Il existe bien des associations qui dénoncent la prison et les lieux d’enfermement, mais souvent créées par des militantEs.
Les familles victimes de crimes pénitentiaires sont moins armées que celles de victimes de crimes policiers, car la prison anéantit, fragilise les prisonnierEs mais aussi leurs familles. Par ailleurs, les crimes pénitentiaires sont plus difficiles à démontrer. Jusqu’à aujourd’hui, il n’y a jamais eu de condamnation pour homicide volontaire par des geôliers.
Notre action est contre les violences pénitentiaires et les crimes maquillés en suicide, pour la dignité des détenuEs : ce sont des êtres humains avant tout et quand on entre en prison, c’est pour purger sa peine, pas pour mourir. Cette mobilisation a pour but de sensibiliser les jeunes : mieux faire connaître les violences du monde carcéral pour mieux les combattre.
Propos recueillis par une correspondante de Lyon
- 1. Corbas est une maison d’arrêt à côté de Lyon : les syndicats de gardiens dénoncent régulièrement le manque d’effectifs, et l’Observatoire international des prisons dénonce la surpopulation (143 % en moyenne sur ce type d’établissement pénitentiaire).
- 2. Medhi Berroukeche a été assassiné par un codétenu, sans que les surveillants interviennent.