En l’an 2000, une commission d’enquête du Sénat sur les prisons constatait l’état déplorable du système pénitentiaire en France. Son rapport, intitulé « Prisons : une humiliation pour la République » en pointait les causes : l’augmentation continue de la population carcérale et les conséquences de l’abandon des prisonniers par la société et l’État — conditions de détention indignes, surpopulation carcérale, déficit d’accès aux soins, maltraitance des malades psychiatriques et des usagers de drogues illicites, manque de moyens pour la réinsertion, etc.
Augmentation de la population carcérale
25 ans plus tard la situation ne s’est pas améliorée, bien au contraire. Les causes sont identiques : l’augmentation continue de la répression judiciaire fait exploser mois après mois, année après année, les records du nombre de personnes détenues. Le dernier bilan mensuel du ministère de la Justice au 1er avril 2025 fait état de 81 600 personnes détenues, pour 62 000 places, soit une augmentation de 2,8 % depuis janvier.
Les conséquences sont les mêmes : surpopulation dans les maisons d’arrêt dont une quinzaine dépassent les 200 % de taux d’occupation, plus de 4 500 détenuEs qui dorment sur des matelas par terre, des cellules de 9 m2 occupées par deux, trois voire quatre personnes, alors que l’encellulement individuel est censé être la règle en France depuis 1875, les heures de promenade réduites à une ou deux par jour, peu d’accès au travail ou aux activités de réinsertion. 157 détenus se sont suicidés en 2023.
Du côté de l’administration pénitentiaire, c’est le naufrage. Les conditions dégradées engendrent un absentéisme chronique chez les surveillants, sans parler des burn out, de l’addiction à l’alcool, des dépressions, des suicides (20 % plus nombreux que dans la population générale), des affaires de corruption qui se multiplient, des difficultés de recruter pour des métiers mal considérés, et pour cause.
« Torture blanche » pour les uns
Face à cette situation catastrophique, la réponse de Darmanin est très politique. Engagé dans une concurrence avec Retailleau pour être celui qui réussira à appliquer au mieux la politique réclamée par l’extrême droite, il fait œuvre d’une démagogie sans faille et pleine d’imagination, avec prison de haute sécurité d’un côté et dégradation assumée des conditions de détention classiques de l’autre.
À la suite de l’évasion sanglante de Mohamed Amra en 2024 au péage d’Incarville, une vaste campagne de panique morale s’est déployée sur le thème du narcotrafic, avec pour conséquence concrète la transformation de plusieurs établissements en « prisons de haute sécurité ». Généralisation de la visioconférence, fouilles systématiques après les parloirs, qui ne se feront que par hygiaphone, suppression de l’accès aux unités de vie familiale, c’est à un régime d’isolement permanent que vont être confrontés les détenus. Une « torture blanche » dont les conséquences psychiques et sociales sont bien identifiées pour les quelque 800 détenuEs déjà à l’isolement dans les prisons classiques.
Préfabriqués pour les autres
Pour tous les autres, Darmanin multiplie les annonces démagogiques pour satisfaire l’électorat le plus réactionnaire, et les organisations syndicales de la pénitentiaire, proches du RN : en février il proclame la suspension des activités socioculturelles en détention, avant de rétropédaler, en expliquant qu’il vise les activités « ludiques ou provocantes ». Ceci alors que les activités, accès à l’enseignement, à la formation, sport et activités socioculturelles, sont une obligation légale.
Le 13 avril, nouveau coup d’éclat pour réduire la surpopulation, plutôt que d’infléchir la politique pénale et de favoriser les alternatives à l’incarcération, il donne un coup d’accélérateur à la construction de 3 000 nouvelles places… en préfabriqués. On n’ose imaginer les conditions de vie dans ces « infrastructures modulaires » lors des épisodes de canicule ou de grand froid.
Et enfin le 26 avril, invité du 20 h de TF1, il annonce vouloir faire payer aux détenus des frais d’incarcération, via une contribution forfaitaire obligatoire. Comme le dit l’OIP (Observatoire international des prisons), une « idée qui est aussi simple que brutale et consternante, tant ses auteurs semblent tout ignorer des parcours de vie des personnes détenues, principalement marqués du sceau de la précarité. »
Une autre politique est possible et nécessaire, avec des mesures d’urgence concernant les alternatives à l’incarcération, et un débat nécessaire à gauche, sur la question de l’abolition de la prison.
Alex Bachman