Le non-lieu prononcé en appel le 27 avril, pour les policiers qui poursuivaient deux jeunes de Clichy-sous-Bois morts dans un transformateur électrique, nous invite à revenir sur les émeutes qui ont agité la France à l’automne 2005 et sur les événements qui les ont provoquées.
27 octobre 2005, 17 heures : dix jeunes de Clichy-sous-Bois reviennent d’une partie de football. La brigade anti-criminalité (BAC) est présente.
Le risque d’un contrôle policier fait fuir le groupe de jeunes dont la plupart n’ont pas leurs papiers sur eux. Une poursuite s’engage. Afin d’échapper aux policiers qui les poursuivent, trois d’entre eux escaladent l’enceinte d’un transformateur EDF et s’y réfugient.
Zyed Benna et Bouna Traoré meurent électrocutés, le troisième est blessé, brûlé. C’est lui, Muhittin, qui donnera l’alerte dans le quartier.
Le soir même des échauffourées éclatent dans le quartier du Chêne Pointu à Clichy-sous-Bois. Durant plusieurs jours des affrontements avec les forces de l’ordre ont lieu à Clichy et dans la ville limitrophe de Montfermeil.
Le dimanche 30 octobre, des gaz lacrymogènes atterrissent dans la mosquée Bilel à Clichy-sous-Bois, où de nombreux habitants du quartier sont rassemblés. Cet incident provoque alors un fort émoi et de nombreuses réactions. Le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, ne peut que reconnaître que le projectile utilisé est « en dotation » dans l’équipement des forces de l’ordre. Il n’y aura pour autant ni excuses ni explications. Dans les jours qui suivent le mouvement s’étend aux autres communes de Seine-Saint-Denis.
Le lundi 1er novembre, certain quartiers d’Aulnay-sous-Bois, Sevran ou encore Bobigny sont le théâtre d’affrontements avec les policiers. Ailleurs, de très nombreux véhicules sont incendiés et parfois les bâtiments publics (écoles, crèches, bibliothèques) sont pris pour cibles.
Le 9 novembre au soir, le calme semble être partiellement revenu en Seine-Saint-Denis. Mais les événements se prolongent en province et la plupart des grands centres urbains sont touchés (à quelques exceptions, dont celle notable de la région Paca), mais aussi des petites villes en province, voire en milieu rural.
Provocations
Dans les mois qui ont précédé et tout au long de ce mouvement, le rôle de Nicolas Sarkozy est évident, multipliant les provocations et les déclarations musclées (parlant de « racaille » ou de « nettoyage des banlieues au Kärcher »). Au lendemain de la mort de Zied et Bouna, il annonce que ceux-ci avaient commis un délit, puis que les fauteurs de troubles seront sévèrement punis et les étrangers expulsés...
Le 8 novembre, le gouvernement par la voix de son Premier ministre, Dominique de Villepin, décide de réactiver la loi de 1955, votée durant la guerre d’Algérie, en vigueur durant les massacres du 17 octobre 1961 et établissant l’état d’urgence. Avant tout symbolique, la remise en place d’une telle loi affirme la voie choisie par le gouvernement pour faire face à la situation : une gestion coloniale des classes populaires.
Au final, entre le 27 octobre et le 18 novembre, près de 10 000 véhicules on été incendiés et plus de 250 établissements scolaires touchés.
Les télés et les journaux y consacrent une très large place. Durant près d’un mois la France vit à l’heure des émeutiers et du nombre de voitures brûlées chaque veille au soir. Les discours racialistes se multiplient et des explications de type « ethnico-religieux » sont largement mobilisées, et pas seulement par Finkelkraut.
Comprendre
Quelques études menées dans les mois qui ont suivi ces évènements permettent de mieux comprendre ce qui s’est passé durant ce mois de novembre 20051.
Tout d’abord, il apparaît qu’il s’agit d’une fraction bien précise de la jeunesse des quartiers populaires qui a participé à ces émeutes : des garçons, et parmi eux les plus jeunes (les 15-18 ans). Il est d’ailleurs remarquable de voir à quel point les jeunes émeutiers ressemblent aux deux victimes, Zyed et Bouna (âge, type de quartier de résidence, parcours scolaire).
Les interprétations de ces événements divergent : révoltes populaires, émeutes, le sociologue Gérard Mauger parle lui d’une « révolte protopolitique ». Au-delà des débats sur l’interprétation, on peut constater que les cibles des émeutiers restent le plus souvent dans les limites géographiques de leurs quartiers de résidence et ne correspondent pas à de réels lieux de pouvoir. Elles ne furent pas pour autant choisies au hasard, mais bien souvent en fonction de contentieux latents.
Ces mouvements apparaissent comme une manière d’affirmer que ces jeunes ne sont résignés ni à leur quotidien ni au sort qui leur est promis.
Pour comprendre cette révolte, il faut s’interroger sur ce que vivent ces jeunes. En premier lieu, ce sont les rapports jeunes/police qui sont pointés : les jeunes blacks et beurs racontent presque tous les mêmes histoires. Les contrôles incessants de la police (qui les appelle parfois par leur prénom pour leur demander de présenter leurs papiers), les interventions musclées de la BAC, les gardes à vue pour des motifs souvent futiles.
Les difficultés avec le système scolaire, qui ne leur propose que des formations peu valorisantes, et les échecs successifs (orientation vers les formations courtes et peu valorisées, exclusions...). Il faut aussi voir le peu d’avenir que ces jeunes peuvent envisager simplement lorsqu’ils regardent autour d’eux : frères, sœurs, parents ou voisins sont massivement touchés par le chômage et la précarité.
Les réactions de la gauche furent difficiles, en premier lieu parce qu’il ne s’agissait pas d’un mouvement coordonné. Pas de quartier général, pas d’état-major, par de leader, pas de coordination, pas de porte-parole. Rien. Juste une accumulation de révoltes qui trouvaient leur expression dans la rue. Pourtant les fantasmes ont été nombreux...
Les jeunes refusent même de parler. Les journalistes dépêchés sur place peinent à obtenir des témoignages. Alors on parle pour eux.
Dans les quartiers, les « grands », c’est-à-dire les jeunes adultes, ne peuvent que constater leur impuissance à maîtriser les plus jeunes. Les militants associatifs, animateurs de quartiers ne parviennent que rarement à nouer le dialogue avec cette jeunesse en révolte.
Il y eut bien quelques tentatives d’organiser des manifestations au cœur de Paris. Mais quel sens avaient ces mobilisations si loin des quartiers où la colère s’exprimait ?
Sur place, des collectifs informels s’organisent parfois, pour ne pas laisser les jeunes et la police face à face, pour tenter d’entamer un impossible dialogue et surveiller les agissements des forces de l’ordre.
Répression
La répression de ce mouvement fut considérable. D’un côté, un déploiement policier sans précédent quadrille l’ensemble des quartiers populaires. De l’autre, une justice d’exception est mise en place. Le recours massif à la comparution immédiate a permis de condamner en peu de temps un grand nombre de personnes interpellées dans le cadre de ce dispositif policier anti-émeutes.
De nombreux témoignages montrent que bien souvent les dossiers étaient particulièrement légers, la condamnation de jeunes majeurs reposant sur le seul témoignage d’un policier2.
Le recours à cette justice d’exception fut une directive politique appliquée avec zèle par les tribunaux.
Cinq ans et demi après, en accordant un non-lieu aux policiers mis en cause dans la mort de Zyed et Bouna pour non-assistance à personne en danger, la cour d’appel de Paris démontre que face aux demandes de justice et d‘égalité, la justice d’exception qui a eu cours tout au long de ces événements se poursuit. Les familles ont annoncé qu’elles allaient se pourvoir en cassation. Leur avocat affirmait que le parquet était « complètement dépendant du pouvoir politique » et que c’était « une justice de peur qui avait été rendue ».
Les policiers à l’origine de l’accident mortel qui coûta la vie à deux jeunes de Clichy-Sous-Bois sont relaxés. Entre-temps le ministre de l’Intérieur est devenu président. Aucun des ingrédients qui composaient le cocktail explosif de 2005 n’a disparu. Ni le travail policier ni la situation sociale dans les quartiers populaires.
Pierre Baton