Le milieu des années 1980 a marqué une nouvelle étape dans l’histoire de l’État capitaliste, au moins en France et dans l’ensemble de l’Europe de l’Ouest.
On dit couramment que l’État est l’instrument de la classe dominante. C’est globalement exact mais, dès 1848, Marx avait mis l’accent sur le fait que la bourgeoisie française avait diverses composantes, unies contre le prolétariat, mais aux intérêts différents, voire partiellement contradictoires. Et, par ailleurs, pour gouverner, la bourgeoisie avait besoin de se concilier la couche sociale qui constituait la majorité de la population : la paysannerie.
État et classe dominante
Depuis, si les acteurs ont changé, les coordonnées fondamentales restent les mêmes : l’État bourgeois reflète et arbitre les conflits entre les différentes fractions de la classe dominante et gère la société dans son ensemble, ce qui l’amène à tenir compte des rapports de forces avec ceux d’en bas.
Dans l’État néolibéral, la force motrice est la fraction internationalisée de la grande bourgeoisie : si sa composante financière est souvent mise en exergue, en fait celle-ci est organiquement liée à sa composante industrielle et commerçante. Comme le soulignent Pierre Dardot et Christian Laval (voir interview ci-contre), le néolibéralisme n’est pas un ultralibéralisme qui voudrait réduire l’État à sa plus simple expression. Le néolibéralisme met au contraire l’État au service de son projet social et économique.
Dans le contexte de crise économique, il s’agit avant tout de rehausser le taux de profit en mettant en concurrence, par un chantage permanent à l’emploi, les différents prolétariats nationaux. Le paiement de la dette publique est sanctifié et utilisé comme justificatif permanent de l’austérité. L’offensive contre les droits sociaux est noyée dans un discours sur les archaïsmes et le libre choix des individus. Les médias dominants pilonnent les grévistes. Tout est fait pour opposer les différentes catégories populaires et persuader chacun que son voisin est un privilégié ou un profiteur.
Une base sociale restreinte
Malgré cela, la base sociale du néolibéralisme est assez restreinte, notamment en Europe tandis que montent frustrations et mécontentements (souvent récupérés par l’extrême droite). Non seulement, les travailleurs mais diverses couches de la petite et moyenne bourgeoisie redoutent certains des effets des politiques mises en œuvre. Pour les classes dirigeantes, il est donc essentiel de sortir des choix politiques décisifs de la délibération démocratique. La gestion de la monnaie et du système bancaire est donc confiée à des banques centrales indépendantes ; dans la zone euro, la gestion est supranationale (la Banque centrale européenne). Dans l’Union européenne, le respect des règles de la concurrence, les politiques d’austérité et les contre-réformes sociales sont surveillés par la Commission, la Cour de justice et le Conseil européen qui considèrent les résultats des élections nationales comme des clapotis sans grande importance.
Dans l’État néolibéral, il n’y a plus de marge pour les politiques social-démocrates d’aménagement à la marge du système. Et si d’aventure, il vient aux peuples, frustrés dans leurs votes, l’envie de protester directement, ils se heurtent à des appareils sécuritaires et policiers renforcés.
Henri Wilno