Publié le Samedi 6 mars 2010 à 13h19.

Appel Supprimons le ministère de l’Identité nationale
et de l’Immigration

 

Entretien avec Michel Agier1, un des initiateurs de l’appel2 de vingt chercheurs pour exiger la suppression du ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration. Cet appel dénonce la nature même du ministèrequi « a introduit dans notre pays un risque d’enfermement identitaire et d’exclusion dont on mesure, chaque jour depuis deux ans et demi, la profonde gravité. Très officiellement, des mots ont été introduits sur la scène publique, qui désignent et stigmatisent l’étranger – et par ricochet, quiconque a l’air étranger. » Cet appel veut mobiliser contre ce ministère qui « met en danger la démocratie ». Le NPA soutient l’appel.

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à lancer cet appel ?

En dessous de toute cette affaire du débat sur l’identité nationale elle-même, il y a un enjeu qui est de remettre Sarkozy là où il est exactement, c’est-à-dire isoler un discours qui est celui de l’extrême droite. On est en train de nous amener sur un discours national populaire. Sarkozy remet en cause la légitimité des chercheurs, disant qu’ils ne connaissent rien, que ce sont des élites intellectuelles. C’est l’argument de la séparation des élites et du peuple. Cet appel est parti de chercheurs, de l’EHESS3, assumés comme chercheurs. Tous, nous avons quelque chose à y voir dans nos recherches, à propos de nation, d’histoire nationale, d’identité, d’altérité, d’étranger, d’ethnicité… Ce sont nos domaines de recherche. Avec le ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration, il y a quelque chose qui nous dépasse, de l’ordre du politique, donc on réplique. C’est une affaire politique qui prend un langage social. La rhétorique à la Besson, on peut en rire, mais elle est dangereuse, même s’il ne faut pas confondre la situation actuelle avec Vichy. Il faut isoler cette politique.

Comment analyses-tu la politique de Sarkozy ?

Il y a une nouvelle droite, la droite change. Il y a la même chose ailleurs en Europe, il y a des correspondances avec ce qui se passe aux États-Unis. La création du ministère de l’Identité nationale en 2007 est un enjeu symbolique et politique fort. En 2007, une série d’historiens a démissionné de la cité de l’immigration pour protester contre cette France là. Puis il y a eu le discours de Sarkozy à Dakar. Cela a amené plusieurs réseaux à converger. Il y a un enjeu clair et important maintenant en Europe et dans le monde qui dépasse la seule question sociale. Ce qui s’est passé, c’est qu’on ne supporte plus cette affaire là, qui est tellement désagréable. Des collègues ont refusé le débat sur l’identité nationale. Pour nous, on ne peut pas laisser le terrain vide, il faut faire quelque chose en plus avec des intellectuels de différentes sensibilités.

Quelle est votre démarche ?

Notre idée au départ, c’est que les chercheurs ne sont pas une élite dans la société, on fait partie du peuple. L’objectif n’était pas de lancer une pétition de chercheurs. On appelle les partis, les syndicats, les associations et les candidats aux élections. On a eu des réactions de la part des associations, et là, ça s’organise. Nous avons une volonté d’avoir des soutiens larges, rassemblant toute la gauche, en essayant de faire que même le Modem assume cette position. Le texte de l’appel a été travaillé de manière consensuelle sur le sujet. Ce texte est signable par beaucoup de gens. On ne veut pas rentrer dans le sujet lui-même, sur l’histoire nationale, la constitution de la nation. Il y a des positions diverses. Si on va voir dans le détail, il y a des positions différentes, éventuellement divergentes mais là, l’idée est de faire un texte précis et large, sur la suppression du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale.

Quelles sont les perspectives de l’appel ?

Les choses s’accélèrent. On va essayer de donner une forme un peu officielle à la campagne début janvier avec des prises de position de partis, élargir à des collègues, des personnalités, tout ce qui peut faire du bruit. C’est le moment de faire du bruit. Il faut faire un « coup » politique qui isole la droite sarkozyste sur cette question. On ne préfère pas une autre droite mais cette droite là doit être combattue aux niveaux national et européen. Il y a un enjeu politique particulier. Il faut préparer le 4 février, jour de la remise du rapport de synthèse du « grand débat sur l’identité nationale », un grand événement, un contre colloque, un rassemblement. On doit pouvoir parler, s’exprimer. On veut former des collectifs. On veut que l’appel soit repris. Le premier collectif s’est formé mi-décembre dans le Gard. Ils ont fait une déclaration à la presse locale, organisent un café citoyen. Il faut que cela se lance.

Que penses-tu du projet de loi ou de texte réglementaire sur le port de la burqa ?

On a tort de penser que c’est un symbole religieux. C’est une forme d’affirmation. Il faut arriver à se décaler par rapport au régime de pensée dominant pour pouvoir dire plein de choses sur la burqa. Le problème, ce ne sont pas les 360 femmes qui la portent. C’est une chose très complexe qu’il faut pouvoir expliquer, et non la stigmatiser comme veut le faire le gouvernement. Il y a un enjeu de passer d’un régime de pensée identitaire à un régime de pensée politique. On veut repasser à un mode de pensée politique, reprendre la parole.

Propos recueillis par Antoine Boulangé

1. Michel Agier est anthropologue, directeur d’études à l’EHESS et à l’IRD, directeur du Centre d’études africaines.

2. Pour signer <http://appel.epetitions…;

3. école des Hautes études en Sciences Sociales