Publié le Samedi 25 décembre 2010 à 14h22.

Retour sur le mouvement social au Havre

La structuration unitaire et démocratique du mouvement au Havre n’est pas venue de nulle part. Elle est le résultat d’une dynamique locale qui remonte au CPE et surtout à la mobilisation contre les suppressions d’emplois à Renault Sandouville et à l’hôpital en 2008.

À l’automne 2007, la direction de l’hôpital du Havre annonce plus de 550 suppressions de postes. Un collectif unitaire rassemblant les unions locales (CGT, CFDT, Solidaires, FSU), des militants des partis de gauche (PCF, Verts, PS, LCR), des associations de malades ou autres et des individus se constitue. Ce collectif a mené plusieurs actions, de l’interpellation des éluEs à des rassemblements et des débats publics.

Aussi quand Renault annonce plus de 1000 suppressions d’emplois à Sandouville à l’été 2008, au moment où la crise bancaire explose et commence à produire ses effets dans «l’économie réelle», le travail unitaire régulier (même fragile) permet une réaction rapide.

Un collectif de ville pour la défense de l’emploi et contre les licenciements rassemble l’ensemble de la gauche sociale et politique. 23 organisations appellent à une manifestation le 8 novembre derrière le mot d’ordre « zéro licenciement » car au-delà de Renault ou de l’hôpital, toutes les entreprises sous-traitantes de l’automobile sont menacées. Le collectif se réunit toutes les semaines et si la participation de certains est très irrégulière, aucune organisation ne peut rompre cette unité. Ainsi quand les confédérations se décident enfin début 2009 à appeler à la grève, ce collectif continue de proposer des initiatives, parallèlement à l’intersyndicale (AG interpro qui décide de journées d’actions locales avec des blocages routiers en février et avril 2009). Surtout ce collectif unitaire dénonce unanimement la stratégie des journées d’action « saute-mouton » sans mot d’ordre unifiant et sans perspective. C’est pourquoi, à la suite du LKP guadeloupéen, l’ensemble des organisations reprend la revendication de 200 euros d’augmentation pour tous et exige des directions nationales, l’organisation d’une manifestation nationale pour le refus de payer de la crise et contre les licenciements. Pendant deux ans, l’intersyndicale comme ce collectif unitaire vont interpeller les directions des organisations pour contester leur politique.

Comment expliquer cette autonomisation locale, ce tournant politique dans une ville où l’histoire ouvrière est certes riche de luttes mais où l’hégémonie de la CGT et l’ancrage du PCF ont souvent empêché une dynamique unitaire au service de l’auto-organisation des luttes ?

D’abord, la place centrale de la CGT (près de 7 000 adhérents à l’union locale-UL du Havre avec les gros bataillons des dockers et du Port autonome, plusieurs milliers pour celle d’Harfleur, avec Total ou Renault) et l’évolution de son orientation. On peut noter plusieurs éléments : renouvellement des cadres des UL avec l’arrivée d’une nouvelle génération de militantEs, positionnement de plus en plus critique vis-à-vis de l’orientation et de la stratégie confédérale, concrétisé dès 2007 par l’entrée de militantEs ouvertement critiques à la commission exécutive... À l’occasion de chaque mouvement social (pour une manif nationale, contre la stratégie des journées d’action ou la plateforme intersyndicale de janvier 2009 sans revendication précise) et de chaque échéance interne, des motions sont adressées à la direction confédérale.

Du côté des autres organisations syndicales, la situation est similaire, bien qu’à une échelle moindre : l’UL CFDT est ouvertement critique vis-à-vis de la direction, la FSU a en son sein une forte minorité affiliée à la tendance École émancipée. Enfin Solidaires, avec des forces limitées, prend toute sa place dans la construction unitaire.

Il faudrait ajouter l’expérience accumulée au fil des luttes, qui a permis de nouer des relations entre des équipes militantes de traditions ou d’organisations différentes : le mouvement sur les retraites de 2003, avec un mouvement enseignant très 
combatif et radical, le soutien aux sans- 
papiers, le combat contre le TCE.

Enfin, il y a les reculs du PCF qui, même s’il conserve un ancrage réel via des 
réseaux de sociabilité et ses éluEs deux députés, des conseillers généraux), ont 
libéré un espace politique qui ouvre de réelles possibilités pour la défense d’une orientation unitaire, démocratique et lutte de classes.

Le mouvement contre la réforme des retraites

Le mouvement havrais a ceci de particulier qu’il a mêlé clarté dans les mots d’ordre (retrait du projet de loi) et objectifs stratégiques (construire la grève générale reconductible), unité et radicalité dans les actions, mais aussi lucidité sur les problèmes auxquels nous faisions face : absence de volonté des directions confédérales de construire cette mobilisation par la généralisation de la grève, difficulté du mouvement social à croire en ses propres forces, due à un rapport de forces entre les classes très dégradé.

Dès le 8 septembre, l’intersyndicale CGT-CFDT-FSU-Solidaires-FO envoie une adresse aux confédérations exigeant qu’elles se prononcent pour le retrait du projet, pour une nouvelle date rapprochée de grève interprofessionnelle et en faveur d’une manifestation nationale à Paris. Le 10, les UL CGT de l’agglo appellent à la reconduction de la grève et à des actions de blocage le 24. La perspective de la grève reconductible monte en puissance jusqu’au 12 octobre. Le meeting unitaire pour la défense des retraites du 11 (600 présents) constitue un point d’appui pour la consolidation du caractère unitaire du mouvement. Après la manifestation qui a réuni plus de 50 000 personnes le 12, l’AG interpro regroupe près de 200 militantEs, dont des représentants de plusieurs secteurs ayant déjà voté la reconduction, et décide alors le principe d’une AG et d’un bulletin quotidien. Le 13, quasiment toute la chimie reconduit : raffinerie Total, Compagnie industrielle et maritime (CIM qui gère les installations de 
réception, de stockage et de transfert des hydrocarbures au Havre, donc très stratégique), Petrochemical, Chevron. La centrale thermique EDF est mise à l’arrêt. À côté de ces grèves majoritaires se développe un mouvement dans la métallurgie (Fouré Lagadec, Dresser, Aircelle) et dans des secteurs de la fonction publique (éducation) ou du BTP. Les formes sont différentes : noyaux militants en reconduction, blocages de routes ou de sites, arrêts de travail pour participer aux actions décidées en AG. Le 19, si la grève s’étend à de nouveaux secteurs, les salariéEs en grève reconductible restent malgré tout minoritaires. Les militants de la métallurgie ou de l’éducation sont fortement présents dans les actions de blocage mais ne parviennent pas à élargir la grève dans leurs secteurs en dehors des journées d’action nationales, très massives en termes de grévistes et de manifestants. Les actions de blocage ont atteint une ampleur inédite : la zone industrielle a été bloquée totalement à plusieurs reprises avec certains jours près de 1 000 militants impliqués, de tous horizons.

La centralisation 
et la structuration de la lutte

Le fonctionnement quotidien de la lutte, l’AG interprofessionnelle du Havre ouverte à toutes et tous, son bulletin 
quotidien Havre de grève, sont des acquis de cette mobilisation. Si l’AG a rassemblé 200 personnes tous les soirs, environ 
400 à 500 personnes y ont participé.

La majorité des secteurs en grève étaient représentés, y compris ceux qui n’ont pas l’habitude de travailler en interpro. L’AG rassemblait aussi des non-grévistes et est devenue le lieu légitime de décision et de centralisation du mouvement. Toutes les actions ont été décidées dans ce cadre, au jour le jour. Les représentants de l’intersyndicale y tenaient une place centrale mais ont joué le jeu de la construction démocratique du mouvement. Entre le 12 octobre et début novembre, les syndicats n’ont pas eu d’autre expression que le Havre de grève. Il est devenu l’organe central de la grève, distribué partout chaque jour.

Les limites...

L’AG interpro a eu un fonctionnement démocratique salué par tous mais n’a pas permis que l’auto-organisation gagne les secteurs en grève. Dans la plupart des 
entreprises, c’est l’intersyndicale d’entreprise, ou souvent la CGT seule, qui a 
animé le mouvement, même si des AG ont eu lieu dans de nombreuses boîtes.

De plus, la grève est restée minoritaire dans la plupart des secteurs, hors journées nationales et le blocage est apparu parfois comme un substitut à l’extension de la grève. À la SNCF le mouvement reconductible n’a pas atteint un seuil critique suffisant. Au port, contrairement à Marseille, l’activité n’a pas été totalement arrêtée.

Certains gros secteurs (hôpital, ville du Havre...) sont restés largement absents en dehors des appels nationaux.

Malgré ces réserves et la défaite que constitue le vote de la loi, le mouvement social havrais sort renforcé de ce combat. Les militantEs ont tissé des liens de confiance, ont partagé des moments intenses de solidarité et se sentent plus forts pour les batailles à venir. Des perspectives sont ouvertes, avec la préparation d’un meeting sur la destruction du programme du CNR et la poursuite du bulletin qui montrent la volonté de continuer à militer ensemble.

 

Steph et Thomas