Publié le Samedi 30 avril 2011 à 09h16.

Le mouvement de Gafsa en 2008

La région de Gafsa, dans le centre de la Tunisie, est une zone d’extraction du phosphate, la principale ressource minière du pays.

À l’origine, un mouvement de protestation à la suite de l’organisation d’un concours de recrutement de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG). Trop peu de postes sont proposés, les résultats annoncés le 5 janvier sont jugés truqués : la corruption, le copinage, les liens familiaux ou tribaux ont primé sur la compétence des candidats.

Pourtant, il faut chercher des causes profondes à ce mouvement, sous un régime où ces comportements sont monnaie courante.

Après les restructurations imposées en 1986 par le FMI et la Banque mondiale (plan d’ajustement structurel), le nombre d’ouvriers de la CPG passe de 14 000 dans les années 1980 à 5 300 en 2007. Cette évolution s’explique notamment par une forte mécanisation, accompagnée par l’augmentation du nombre des heures supplémentaires (la semaine de travail est de 48 heures en Tunisie).

D’autre part, les investissements sont dirigés essentiellement vers les régions côtières. Le tourisme y est très juteux, et de plus, ces régions sont le berceau d’une grande partie de l’appareil du RCD. Le clientélisme et le régionalisme sont utilisés à fond par le pouvoir. Le chômage dans le bassin minier est deux à trois fois supérieur au taux national, qui est déjà officiellement autour de 15 %. Ceci s’accompagne d’une dégradation importante des services publics et de l’augmentation des produits de base qui aggravent les conditions de vie de la population.

L’enrichissement des hauts cadres de la CPG et des responsables locaux augmente le ressentiment général. En particulier, le secrétaire de l’union régionale de l’UGTT, Amara Abbassi, député RCD et membre du comité central de ce parti, a monté une société de sous-traitance de main-d’œuvre, dont les salariés travaillent dans les mines, avec des salaires encore inférieurs aux « titulaires ». Plus généralement, le climat de mainmise mafieuse du clan Ben Ali sur le pays pèse.

La contestation partie de Redeyef, s’étend aux autres villes du bassin minier. Elle débouche sur la répression, des morts, des blessés et des centaines d’arrestations, suivies de dizaines de procès.

Ce mouvement, très populaire, rassemblant diverses catégories, générations, avec une forte présence des femmes, a eu une durée exceptionnelle : six mois de luttes, alors que la dernière grande lutte, les « émeutes du pain » en 1984, fut très brève.

Dans un pays où l’activité politique et syndicale était très surveillée et réprimée, on assiste au rétablissement de facto du droit de réunion, de manifestation, d’expression. La police, débordée par l’ampleur du mouvement, n’arrive plus à imposer la loi.

Le mouvement, parti spontanément, est rapidement soutenu et encadré par des militants syndicaux et de gauche. La dimension ouvrière marquée de ce conflit empêche le pouvoir d’utiliser le relais des chefs tribaux. D’ailleurs, récemment dans la même région à Mettlaoui, c’est encore Amara Abbassi qui a organisé un « affrontement tribal » dans le but de dévoyer et diviser la révolution.

La limite de ce mouvement, précurseur d’une série de luttes qui s’échelonnent jusqu’à 2010, est qu’il n’arrive pas à connaître une transcroissance politique qui serait certainement la condition à l’extension au reste du pays. La ville de Redeyef semble être le seul contre-exemple, avec la mise en place d’un « comité de négociation », désigné par des assemblées syndicales, et qui joue le rôle de direction du mouvement et d’embryon de contre-pouvoir local.

L’isolement au niveau national s’explique aussi par :

z L’indifférence d’une partie de « l’intelligentsia » de gauche.

z Les tracasseries incessantes du pouvoir contre les organisations qui s’opposent à lui.

z Le rôle de la bureaucratie syndicale qui suspend de leurs mandats les syndicalistes locaux qui participaient à l’organisation de la mobilisation et ouvre ainsi la voie à leur répression par le pouvoir.

Néanmoins, la gauche de l’UGTT, des avocats et des militants des droits de l’homme organisent la solidarité, en liaison avec des associations et centrales syndicales françaises qui envoient à plusieurs reprises des délégations sur place.

Commission Maghreb du NPA