Publié le Lundi 9 mars 2009 à 16h22.

«Gran Torino» de Clint Eastwood

Walt Kowalski qu’incarne Clint Eastwood crache, jure et bougonne l’invective. Cet ancien ouvrier, qui a travaillé 50 ans à l’usine Ford, vétéran de la guerre de Corée, est devenu veuf depuis peu, et le film s’ouvre sur les funérailles de sa femme.

Tout semble donc condamner Walt à la solitude d’une vie finissante, tout entière absorbée par l’entretien de son fusil M-1 prêt à l’emploi, de son étincelante Gran Torino sortie des chaînes Ford en 1972, astiquée, bichonnée chaque jour, et du minuscule terrain, tondu court, qui borde son pavillon.

Le seul cinéma d’Hollywood qui vaille est celui qui nous parle des Etats-Unis et qui inscrit son action dans des lieux très précis. Eastwood, s’il n’est pas un créateur de formes neuves mais bien le dernier cinéaste hérité du grand classicisme hollywoodien, ne déroge pas à cette règle. Louant sur place les deux maisons voisines où vivront les personnages de son film, le cinéaste s’est rendu pour filmer en plein coeur du Middle-West, dans le Michigan, dans un quartier pauvre de Detroit, l’ancienne glorieuse capitale de l’automobile.

Aujourd’hui, le communautarisme y règne en maître et divise les quartiers entre afro-américains, asiatiques et une minorité de Blancs. Les gangs ethniques s’y affrontent et les maffias tentent d’imposer leur loi au sein même des communautés. Les anciens voisins de Walt ont été remplacés par des immigrants Hmong, un peuple originaire de l’Asie du Sud-Est, dont notre héros ignore tout mais qu’il met en bonne place dans ses soliloques racistes confiés à sa fidèle chienne Daisy. Walt ne tolère personne, du jeune curé, ce « puceau suréduqué » qu’il renvoie vers ses ouailles, à ses voisins Hmong, ces « faces de citrons », « rats de marais », « têtes de nems ». A longueur de journée, éclusant bière après bière sous sa véranda, il peste contre la grand-mère d’à côté et remue ses mauvais souvenirs.

Un jour, dérangé par un gang venu agresser ses voisins, il met celui-ci en déroute, et devient malgré lui un sauveur. La communauté Hmong lui prodiguant force remerciements et offrandes, peu à peu, par-dessus ses préjugés, le vieux « Polak » s’attache à ses voisins. A 78 ans, l’acteur Eastwood endosse à merveille le costume d’un vieillard raciste, et le réalisateur Eastwood décrit toute la transformation de ce personnage. Walt abandonnera l’amertume, le mépris et la haine, s’ouvrira aux autres. Ces « étrangers » auxquels il se lie lui deviendront plus proches et familiers que ses propres enfants.

Eastwood, qui a maintes fois porté, au cinéma, les habits de justicier, de flic, de cowboy, raciste ou fasciste, tous impitoyables, tourne une fois de plus le dos à ce type de personnages. Dans ce film très chrétien, il montre qu’il n’est jamais trop tard pour apprendre à vivre ensemble dans le respect et l’amitié. Côté ciel, il glorifie la rédemption. Côté terre, il affirme le droit du sol contre le droit du sang. Idée généreuse.