Publié le Mercredi 17 juin 2020 à 22h55.

Maurice Rajsfus : « On dit que les révolutionnaires ne meurent jamais... »

« ... simplement vers la fin, ils commencent à avoir mal aux genoux. »

Maurice Rajsfus est décédé le samedi 13 juin. Tout un symbole pour celui qui a inlassablement lutté contre les violences policières, puisque le même jour un immense rassemblement se tenait à Paris, à l’appel du Comité Vérité et justice pour Adama Traoré. Maurice Plocki, dit Maurice Rajsfus, infatigable militant, arrêté avec ses parents lors de la rafle du Vél’ d’Hiv le 16 juillet 1942, fut un compagnon de toutes celles et ceux qui ont lutté contre les oppressions, contre la répression, contre les fascistes en rangers ou en costard, connu pour sa gentillesse, sa disponibilité et sa pugnacité. Pendant plusieurs décennies, il a méticuleusement recensé et classé, sur des milliers de fiches Bristol, les cas de violences policières, jouant un rôle d’éclaireur dans un combat qui connaît aujourd’hui une ampleur sans précédent. Maurice fut également un compagnon de route de la LCR et du NPA, présent sur nos listes aux élections européennes de 2014, mais conservant évidemment toute son autonomie. Pour lui rendre hommage, nous publions un texte de notre camarade Gérard Delteil, ainsi que, ci-dessous, des extraits d’une interview que nous avions réalisée pour l’Anticapitaliste hebdo n°440 (27 juillet 2018).

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Ma vie militante a commencé très tôt, puisque mes parents nous avaient envoyés, avec ma sœur, dans une colonie de vacances issue du Secours rouge à l’île de Ré en 1937 et 1938. Nous avions alors le sentiment d’être de futurs grands révolutionnaires.

En fait je suis militant depuis la Libération de Paris à la fin du mois d’août 1944. À l’époque, je croyais participer à la révolution en adhérant au PCF et aux Jeunesses communistes. Mais deux ans plus tard j’en étais violemment exclu, sous l’accusation de « provocateur policier ». J’avais 18 ans. En octobre 1946, je rejoins la Quatrième internationale.

Après quelques années d’errance, je reprends goût à la lutte contre la guerre d’Algérie. Je participe en septembre 1955 à la constitution du comité des mouvements de jeunesse de Paris contre le départ du contingent en Algérie. Mouvement fortement réprimé par la police. Et le 8 février 1962 je me trouve au sein de la manifestation à quelques centaines de mètres du métro Charonne.

« L’Enragé de Fontenay-aux-Roses »

Un temps éloigné du militantisme, j’avais changé d’âme et commençais à me construire cet indispensable passé professionnel. J’étais devenu journaliste. Un peu éloigné de la lutte, lorsque éclate Mai 1968, je viens d’avoir 40 ans et, du jour au lendemain, je rajeunis de 20 ans, et j’apprends à ne plus me sauver face aux charges policières.

Dans la deuxième quinzaine de mai 1968, je participe à la création du comité d’action de Fontenay-aux-Roses où je demeure alors. Tout n’est pas simple, et au côté des camarades trotskistes ou guévaristes il est difficile de s’imposer face aux maoïstes de l’École normale supérieure de Fontenay.
Avec ce mois de mai 1968 recommence une aventure militante qui n’a jamais cessé depuis.
C’est la création à Fontenay d’un petit journal réalisé à la ronéo : L’Enragé de Fontenay-aux-Roses. Il y aura un vingtaine de numéros, jusqu’en octobre 1969, date à laquelle la cohabitation avec les maos est devenue insupportable.

« Que fait la police ? »

En novembre 1969, j’entreprends la publication d’un nouveau bulletin mensuel, Action banlieue sud, qui paraîtra régulièrement jusqu’en décembre 1975. Parallèlement sera constitué le Groupe d’études socialistes, qui se consacrera à l’histoire du mouvement ouvrier tout au long des années 1970 et 1971.

Comme la répression de mai 1968 avait laissé des traces, j’ai rapidement entrepris de constituer une documentation sur les violences policières, sur la base de la presse. Travail prenant qui devait me permettre de constituer un fichier fort de plus de 10 000 fiches rappelant environ 5 000 bavures. Ce travail sera à l’origine de la création de l’Observatoire des libertés publiques en mai 1994, après l’assassinat du jeune Makomé au commissariat des Grandes-Carrières. Il y a aura la publication de plus de 200 numéros du bulletin Que fait la police ? jusqu’en 2014.

En mai 1990, je participe à la création du réseau Ras l’front qui, après des débuts difficiles, connaîtra une rapide croissance, en compagnie de militantEs qui avaient réussi à troubler la manifestation du Front national sur la place de l’Opéra le 1er mai 1995. Un peu plus tard je deviendrai le président de Ras l’front pour quelques années.

Ne pouvant me contenter de cette activité débridée, à l’orée de ma retraite, je commence à publier un certain nombre d’ouvrages lourds de sens dès 1980. Sur les quelques 60 livres publiés jusqu’à aujourd’hui une vingtaine sont consacrés à la police, et plus généralement à la répression sous toute ses formes.

Je pense n’avoir pas trop déçu ceux avec qui j’ai milité. Mais à l’âge de 90 ans mes genoux commencent à me faire souffrir et ma hanche gauche en fer blanc m’empêche de courir aussi vite que je devrais, non pas pour me sauver lorsque ça devient nécessaire, mais pour faire la chasse aux nouveaux fachos qui menacent nos libertés fondamentales.