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L’art peut-il changer le monde ? La question, naïve, peut sembler lassante à force d’être posée. On aimerait pourtant, mais les cinq interprètes de ce spectacle de « science-fiction de rue » ne se font pas non plus d’illusion sur la réponse et cachent à peine leur désarroi. Quittant leurs rôles à tiroirs dans les dernières minutes pour parler en leur nom propre, il et elles osent finalement la sincérité, abandonnant le principe d’ironie et de mise en abyme jusque-là indispensable à leur dénonciation outrancière d’un monde qui va dans le mur.
Car la problématique traitée est grave, et les efforts des protagonistes pour y répondre perpétuellement soumis à débats, disputes et moqueries. Il n’est question pas moins que du cataclysme à venir, « l’événement le plus important qu’a subi l’humanité » selon un des personnages qui, en 2072, en commémorent les 50 ans tout rond. Calcul vite fait, on comprend qu’il et elles ne vont pas nous ménager. Mais c’est avec un humour dévastateur que le drame nous est conté. En immersion dans l’espace public, avec ses parcs, ses parkings goudronnés et ses véhicules ça et là, le public est invité à regarder le présent comme s’il s’agissait d’une reconstitution du passé, faisant loupe sur toutes ses absurdités. « Si vous ne remarquez pas l’odeur du pétrole, c’est que vous êtes déjà contaminé ».
Caricature, vraiment ?
C’est le deuxième spectacle de la compagnie, après Tripalium qui auscultait le monde du travail avec la même bouffonnerie survoltée. La pièce a été écrite par Sarah Daugas Marzouk de 2017 à 2019 et l’acuité de sa réflexion sur la question de l’urgence climatique est encore plus ébouriffante en cet été 2022. Bénéficiant d’une autodérision nous préservant de tout moralisme, aucun aspect ne nous est épargné de l’enchaînement des événements : chaleurs et inondations, déforestation et virus, greenwashing et cures d’austérité opportunes, capitalisme destructeur jusqu’à lui-même, repli sur soi, déplacements, lutte armée… Caricature, vraiment ? Quant au futur imaginé, il est moqué avec espièglerie, d’abord affectueusement (bâti sur le recyclage, au vocabulaire féminisé à l’excès) puis de manière plus féroce (boursouflé de bienveillance forcée mais où la menace du déclassement opère en accéléré).
On y rit jaune mais franchement pendant ces presque deux heures. Alors, évidemment non, ce spectacle pas plus que les autres ne changera le monde, mais réfléchir à la catastrophe tout en s’amusant reste une occupation plus que salutaire. Généreuse, une comédienne nous laisse même le soin de prononcer collectivement le mot de la fin : « Apéro d’accord mais révolution d’abord ! »