Film étatsunien, 1 h 52, sorti le 29 décembre 2021.
Un homme qui se fait appeler William Tell, vêtu de gris, cherchant à être le plus discret possible, sillonne les casinos des États-Unis. C’est un joueur professionnel auquel son passé a permis d’acquérir une grande maitrise des cartes et un visage impassible mais il ne cherche pas à maximiser ses gains : il veut juste en vivre. Quand il regagne, seul, le soir, sa chambre dans un motel anonyme, il se livre à un étrange rituel, éliminant toute décoration et enveloppant soigneusement le mobilier de tissu blanc.
Les fantômes d’Abou Ghraib
Peu à peu le passé de Tell se découvre : il a fait plusieurs années de prison suite à sa participation aux tortures, viols et sévices divers infligés aux détenus de la prison d’Abou Ghraib en Irak. Il fait partie des quelques simples soldats condamnés car ils étaient présents sur les photos et vidéos (dont certaines sont montrées dans le film) que les tortionnaires se sont amusés à prendre et dont une partie ont ensuite fuité. Au cours de son périple, il rencontre un jeune, Cyrk, qui veut tuer un officier qui supervisait les tortures, n’a pas été inquiété et est même devenu un consultant demandé sur les techniques d’interrogatoire. Cyrk veut persuader Tell de l’aider dans son projet.
Tell sait évidemment que ce sont des subordonnés comme lui (ou le père de Cyrk) qui ont payé et que les gradés et politiciens qui les avaient poussé à torturer s’en sont tiré, mais cela ne retire rien à la culpabilité qu’il éprouve et traine en permanence. Au-delà de la prison, qu’il considère avoir méritée, il veut continuer à se punir pour ce qu’il a fait et n’a rien à venger. Cyrk va amener Tell à dévier de sa route…
Un film qui ne laisse pas indifférent
Outre son thème central, la dénonciation d’Abou Ghraib, Schrader pointe la réalité du monde des jeux où les casinos sont les seuls gagnants permanents et où les joueurs à succès sont en fait employés par des écuries dont les sponsors empochent la moitié des gains. L’essentiel du film se déroule en intérieur dans des salles de jeux et des hôtels, où trainent des personnages dont le plus sinistre est un « Mr. USA » avec son maillot décoré d’un drapeau US et dont chaque succès est célébré par des spectateurs scandant fièrement « USA, USA, USA ».
Paul Schrader a participé ou mis en scène des films de qualités diverses (parmi les meilleurs, il a été le scénariste de Taxi Driver et a mis en scène Blue Collar). The Card Counter, avec ses rebondissements et ses magnifiques interprètes (notamment Oscar Isaac dans le rôle de Tell) ne laisse pas indifférent. Barack Obama a classé The Card Counter parmi les dix films qu’il a préférés en 2021 ; Obama avait d’abord promis la transparence et condamné l’usage de la torture mais, en fait, en tant que président, il a bloqué la publication de centaines de photos prises à Abou Ghraib et accepté que la CIA censure un rapport sur ses méthodes. Malgré ses qualités, le film de Schrader ne serait-il en définitive qu’une caution de la bonne conscience américaine ? Ce serait une interprétation hasardeuse mais chacun appréciera.