Publié le Samedi 25 avril 2015 à 01h20.

Eduardo Galeano : mémoire(s) de feu

L’écrivain uruguayen Eduardo Galeano est décédé le 13 avril dernier d’un cancer à l’âge de 74 ans. Mondialement connu, il était un conteur hors pair des luttes, histoires et cultures des peuples d’une Amérique latine rebelle, populaire et indigène.

Né à Montevideo en 1940 dans une famille de la petite-bourgeoisie catholique, il est passé par plusieurs métiers avant de devenir l’un des auteurs les plus lus du continent : ouvrier, employé de banque, peintre, caricaturiste… C’est tout d’abord comme journaliste politique qu’il s’affirme, notamment dans les années soixante comme éditeur de l’hebdomadaire Marcha, puis une fois la dictature uruguayenne terminée, comme fondateurs de Brecha, autre hebdo de gauche. Mais c’est surtout Galeano l’écrivain qui fascine par sa plume exceptionnelle, à la fois simple et poétique, directe et engagée. Toujours à l’écoute des anecdotes de la vie quotidienne de celles et ceux « d’en bas », les oubliéEs de l’histoire. Il mélange allègrement les genres littéraires pour mieux décrire la réalité latino-américaine, et mondiale. En ce sens, sa trilogie Mémoire du feu (1984) reste un de ses écrits majeurs, au côté du Livre des étreintes (1989).

Mais c’est avec Les veines ouvertes de l’Amérique latine, une contre histoire (1971)1 qu’il est devenu un écrivain universel, figure d’une lecture anti-­impérialiste de l’histoire des colonialismes et du saccage des ressources de l’Amérique latine. Une nouvelle génération a d’ailleurs redécouvert ce livre incendiaire plus récemment, lorsque le président vénézuélien Hugo Chávez l’a offert (en espagnol !) à Obama en 2009 lors du sommet des Amériques.

Contre toutes les formes de domination

Jusqu’à sa mort, Galeano a été un opposant au monde capitaliste et à toutes les formes de dominations : patriarcat, destruction de l’environnement, manipulations médiatiques, arrogance des intellectuels, grandeurs et décadence du football… Tout y passe, avec humour et une certaine joie. Il paiera son engagement de longues années d’exil, suite au coup d’État de juin 1973. Depuis le début des années 2000, il voyait avec un certain espoir l’expérience bolivarienne au Venezuela et avait soutenu en 2004 la victoire électorale du Front ample (centre-gauche) dans son pays.

Accompagnant plusieurs de ses livres de ses dessins, il avait aussi le goût de la compilation d’histoires accessibles et de textes courts, pour essayer de remettre à l’endroit ce monde sans dessus-dessous : « À l’école du monde à l’envers, le plomb apprend à flotter, le bouchon à couler, les vipères à voler et les nuages à ramper le long des chemins. Dans le monde d’aujourd’hui, monde à l’envers, les pays qui défendent la paix universelle sont ceux qui fabriquent le plus d’armes et qui en vendent le plus aux autres pays. Les banques les plus prestigieuses sont celles qui blanchissent le plus de narcodollars et celles qui renferment le plus d’argent volé. (…) Et la sauvegarde de l’environnement est le plus brillant fonds de commerce des entreprises qui l’anéantissent ». À méditer…

Franck Gaudichaud

  • 1. Les veines ouvertes de l’Amérique latine, Pocket, réédition 2001, 8,40 euros.