Publié le Vendredi 17 septembre 2021 à 19h00.

Ennemis d’État. Les lois scélérates, des anarchistes aux terroristes, de Raphaël Kempf

La Fabrique, 232 pages, 13 euros.

L’idée de l’ouvrage de Raphaël Kempf est de partir des lois liberticides du moment pour revenir sur celles contre les anarchistes à la fin du 19e siècle, ou bien l’inverse, en partant des lois répressives contre le mouvement anarchiste (suites à quelques attentats) pour mieux comprendre les réflexes autoritaires et liberticides de cette chère République (IIIe, IVe ou Ve, peu importe), toutes si peu démocratiques.

Lois scélérates

Raphael Kempf raconte comment des lois profondément antidémocratiques ont été votées en 1893 et 1894, dans l’urgence et la panique du pouvoir en face de l’activité militante anarchiste et révolutionnaire. Il fait revivre ces militantEs, les combats contre le capitalisme, pour les droits des travailleurEs, leur courage et leurs déclarations face à la police et la justice, lors de leurs procès... 

Les lois sont dites « scélérates » parce que votées par opportunisme pour légaliser une répression terrible, souhaitée depuis un moment, des lois écrites au nom de la lutte contre le terrorisme (déjà), des lois criminelles car permettant d’arrêter, de condamner à la prison, au bagne et aux travaux forcés, à la « relégation » (déportation dans les colonies comme la Guyane et la Nouvelle-Calédonie), parfois à mort (exécution ou au bagne), sans même qu’il y ait un acte violent de la part des militantEs mais seulement pour leurs idées, leurs écrits ou leurs discours.

Kempf décripte ainsi les mécanismes de l’oppression et de la domination, de la fragilité de « l’État de droit » et de la « démocratie bourgeoise » quand la classe qui a le pouvoir se sent en danger, quand elle prend peur des pauvres qui peuvent se révolter.

Résistances

Kempf raconte la résistance de l’opposition démocratique au gouvernement de l’époque, qui réagit comme on peut réagir aujourd’hui contre le vote de lois liberticides, aberrantes, inacceptables, contre les dangers de l’autoritarisme ou même d’une dictature potentielle au travers de quatre textes : un du jeune Léon Blum alors juriste, un de Francis de Pressensé, futur co-fondateur de la LDH, et deux du militant anarchiste Émile Pouget décrivant l’ampleur de la répression contre les ouvriers anarchistes qui se retrouvent à Cayenne, à mourir de maladie et de faim, après avoir été pourchassés suite à des ­manifestations ou des grèves.

L’aller-retour entre les deux époques illustre bien la continuité de cette République, avec les mêmes réflexes, la même haine ou le même mépris de classe, la même facilité de se débarrasser des droits démocratiques ou des protections sociales, de toute contrainte légale pour sauvegarder le pouvoir et le système.

Ce livre permet d’abord de découvrir ou redécouvrir une partie des combats révolutionnaires et démocratiques de la fin 19e, au moment même de la bataille pour défendre Dreyfus face au racisme de la société. Il aide à mieux comprendre hier et aujourd’hui et de mieux mesurer le danger réel d’une société policière et ultra-répressive.