Dans quelle mesure et sous quelles conditions l’art, par sa pratique ou sa présence, peut-il contribuer à l’émancipation de l’humanité ? Et dans quelle mesure et par quelles voies peut-il être au contraire employé à rendre plus acceptable son aliénation, comme on l’observe trop souvent ? Jean-Marc Lachaud, professeur d’esthétique à l’université Marc-Bloch de Strasbourg, ne prétend pas ici répondre de façon complète à ces vastes questions. Néanmoins, pour avoir inauguré ses travaux par l’analyse de la controverse opposant Lukacs et Bloch en matière d’art, puis scruté tout au long de son enseignement les positions formulées à ce sujet d’un point de vue révolutionnaire ou déclaré tel, il a su condenser ses lectures et ses réflexions dans ce petit livre aussi utile sur le plan politique que pour les étudiants auxquels il est nominalement destiné. Son exposé historique allant de Marx à nos jours regorge de citations dont les références offrent à qui veut une riche bibliographie, mais il se distingue surtout par l’art du philosophe militant à susciter la réflexion par des interrogations qui font participer ses lecteurs à des débats même dépassés à première vue, ou devenus souterrains quoique demeurés centraux, comme la querelle du réalisme (et du « réalisme socialiste » stalinien) occupant plus d’un chapitre. Soulignant « la fonction critique de l’art » et associant pour finir « engagement, contestation, résistance » et « art, utopie, émancipation », il s’appuie à maintes reprises sur les surréalistes, les penseurs membres ou proches de l’École de Francfort, et ce qu’a pu en écrire Daniel Bensaïd. Il reprend avec lui l’heureuse formule arrêtée par Trotsky et Breton, « toute licence en art », condition d’un « art révolutionnaire indépendant ». Reste qu’aujourd’hui, c’est l’aliénation qui a « toute licence » et tous les moyens voulus, ceux de l’art ne faisant pas exception.
Gilles Bounoure
Presses Universitaires de France, 176 pages, 12 euros