Publié le Mercredi 28 juin 2017 à 12h17.

Essai : Aux origines de la décroissance, cinquante penseurs

Coordonné par Cédric Biagini, David Murray, Pierre Thiesset, Éditions L’échappée – Le pas de côté – Ecosociété, 2017, 22 euros

Une précieuse carte-guide, panorama du paysage intellectuel du courant de la décroissance, nous est proposée avec ce livre. Si la présence de certains est évidente – Ivan Illich, Nicholas Georgescu-Roegen, Henry David Thoreau, André Gorz – celle de certains autres est plus étonnante et excite notre curiosité : Albert Camus, Jean Giono, Pier Paolo Pasolini… En un texte de quatre pages précédé d’une page de citations significatives et d’un portrait pleine page, portrait dessiné, les précurseurs de la décroissance défilent par ordre alphabétique. Seules deux femmes ont été retenues : Hannah Arendt et Simone Weil. Dix-huit contributeurs ont travaillé à ces présentations. La présence parmi eux du prestidigitateur Michéa ne doit pas bloquer le lecteur.

Marchandise, marchandisation, fétichisme, productivisme…

Nous nous déplaçons – un peu hagard, un peu zombi – dans un champ de ruines, celui du mouvement ouvrier du 20e siècle, sous un climat à la fois réchauffé et nauséabond. Bien définir les coordonnées de la nouvelle situation est capital. Dans le difficile et incontournable travail de déblaiement des gravats, un tri sélectif s’impose… Les auteurs qui sont convoqués ici peuvent nous y aider.

L’état des lieux doit se faire « grand angle », en panoramique, 360°… Est exclu tout « retour aux fondamentaux », tout fondamentalisme. Le capitalisme est exploitation, oui ! Il est le système du profit, ô combien ! Et la marchandise est dans le cœur de la bête : comment l’oublier ! C’est là précisément que nous avons à prendre et à apprendre du courant de la décroissance et des références qui nous sont proposées dans le livre. Les thèmes qui parcourent l’ensemble des contributions sont justement la fuite en avant dans le productivisme, la marchandisation de tout, la quantification invasive qui empêche la vie même, la science sans conscience et la technologie.

Debord, Marcuse… Bensaïd et Benjamin : la liste s’allonge...

Guy Debord et Herbert Marcuse, grandes figures des années 1960 et 1970, trop peu lus, nous sont sont chaudement recommandés. Eux que Daniel Bensaïd avait relus peu avant sa mort et à partir desquels – parmi d’autres – il préparait un livre avec les fétiches comme thème central. Notre camarade pour qui Walter Benjamin était si important. Benjamin avait beaucoup réfléchi sur le progrès : s’il ne figure pas dans les « 50 penseurs », un petit ouvrage, le premier d’une série « précurseurs de la décroissance » lui est consacré. Chantier de reconstruction en cours !

Une remarque cependant sur la forme du livre : les cinquante portraits dessinés pleine page nous ont laissé une impression trouble, à l’opposé nous semble-t-il du projet initial de « stimuler les réflexions actuelles des partisans de la décroissance, et des autres », et cette esthétique particulière fait remonter de très anciens souvenirs d’images pieuses, du portrait édifiant aussi du bon docteur Schweitzer… Pas sûr qu’il ne s’agisse là que d’une affaire de subjectivité personnelle.

Fernand Bekrich