De Claude Serfati Éditions Amsterdam, 2017, 17 euros.
« Les racines du militarisme de l’État français sont profondes et anciennes », écrit Claude Serfati dans l’introduction de son dernier livre. Ce sont ces racines qu’il met à nu en décrivant comment se sont forgés les liens étroits entre l’appareil d’État, son armée et l’industrie d’armement, qui caractérisent le complexe militaro-industriel en France.
L’interaction entre influence économique et interventionnisme militaire y est particulièrement importante, de même nature qu’aux États-Unis même si c’est à un niveau moindre. Le livre montre comment le militarisme s’est aussi construit à travers « les grandes convulsions sociales » dans la guerre contre l’ennemi intérieur, la classe ouvrière.
« En France, l’armée joue un rôle essentiel depuis des siècles. Et bien que tous les États démocratiques contemporains trouvent leur origine et leur fondement dans le monopole de la violence légitime, la 5e République a donné à l’institution militaire une place sans équivalent dans aucune autre démocratie et qui n’a cessé de se renforcer au cours des dernières décennies, quels que soient les partis au pouvoir. »
Cet enracinement de l’armée dans les institutions de la 5e République a été accentué par de Gaulle qui se hisse au pouvoir au profit du putsch des généraux en Algérie qu’il désarme. S’instaure ce que Mitterrand appelait alors le « coup d’État permanent », qui deviendra cinq décennies plus tard l’état d’urgence permanent, qui institutionnalise ce rôle prépondérant des armées.
Serfati montre les « deux piliers » qui permettent à la France de maintenir son rôle à l’échelle internationale : « l’arme nucléaire (qui fut conçue dès la fin de la guerre, mais réalisée en février 1960) et le maintien d’un contrôle économique, politique et militaire sur les anciennes colonies africaines. »
« L’ennemi de l’intérieur »...
Après la crise de 2007 intervient ce qu’il appelle « le moment 2008 », expression qui désigne ce tournant dans l’économie et la géopolitique mondiales, qui a donné aux dirigeants français l’opportunité de prendre l’offensive militaire du fait de « la réticence américaine ».
Cette montée du militarisme et, en retour, la réponse terroriste, se sont prolongées par les mesures sécuritaires qui « visent bien au-delà des réseaux terroristes et reconstituent de plus en plus ouvertement les figures de l’"ennemi de l’intérieur", qui désignait au 19e siècle les "classes laborieuses, classes dangereuses" et désormais les jeunes descendants d’immigrés, surtout maghrébins. »
Les institutions de la 5e République en ont été le cadre tout naturel. L’état d’urgence vient à nouveau renforcer le poids de l’armée dans la société française, avec en corollaire les politiques sécuritaires et leurs engrenages.
Un livre à lire pour mieux comprendre les liens entre l’interventionnisme de l’impérialisme français, en particulier en Afrique, le poids de l’armée, la logique de l’état d’urgence et des politiques sécuritaires. Pour mieux comprendre aussi qu’il serait erroné de confondre la crise des partis institutionnels avec celle des institutions de la 5e République...
Yvan Lemaitre