À Paris, le centre Pompidou présente jusqu’au 26 septembre un «panorama» de l’œuvre de ce peintre de renommée mondiale. L’exposition vaut par son ampleur exceptionnelle, la virtuosité de l’artiste, et les questions irritantes que pose son travail.Peu de peintres vivants disposent d’un site internet aussi élaboré que celui de Richter, cataloguant et situant ses œuvres selon les dernières données du marché de l’art. On y apprend ainsi que son Détail rouge bleu, 1970, a été adjugé quelque 530 000 livres à Londres en 2002. Un autre Détail s’est vendu le double dans la même salle des ventes en 2011. Ce site est à consulter parce qu’il est « mieux fait que celui de BMW », de l’avis de spécialistes un peu taquins, et qu’il offre un bon aperçu des positions de Richter et de maints autres plasticiens en vogue par rapport au marché de l’art. Mais l’image à l’écran ne transmet rien de l’ébaubissement que cherche à susciter ce Détail rouge bleu de 2 mètres sur 3, dimensions modestes à côté d’autres toiles nettement plus monumentales également visibles au centre Pompidou, dans une présentation remarquablement aérée et lumineuse.En 1961, à 29 ans, Richter fuyait la RDA pour s’établir à Düsseldorf, détruisait ce qu’il avait peint à Dresde, et inaugurait la manière qui le caractérise toujours, celle des « photo-peintures ». Non sans provocation, il assurait se rattacher au « réalisme capitaliste » (et non plus « socialiste » comme de l’autre côté du Rideau de fer) et à un « art pop allemand » distancié de son modèle américain. Comme beaucoup de peintres de cette époque, il usa (et use toujours) de l’épiscope pour reporter des photos sur la toile, non pour en faire « des collages entièrement peints à la main », à la manière de Magritte ou encore de Klasen, mais pour leur apporter sa touche particulière, un effet de flou obtenu en brossant la toile avant séchage, procédé déjà connu de Protogène au ive siècle avant notre ère.Cette vieille technique, même associée à d’autres plus récentes et à la dextérité exceptionnelle de Richter (un spectacle en soi), ne suffit guère à garantir la survie de ce vieux médium qu’est la peinture au milieu des flots d’images issus des nouveaux médias. Si l’artiste estime pouvoir « continuer à peindre » (titre de la dernière salle de cette rétrospective conçue sur ses indications), c’est surtout par attachement à « l’art classique », aux Maîtres anciens ou récents, et à la peinture de genre. Ainsi de son Nu sur un escalier (1966, Duchamp corrigé par les classiques), de ses paysages post-romantiques (Iceberg dans la brume, 1982) et de ses tableaux d’histoire, dont la série la plus célèbre, « Le 18 octobre 1977 », lui a valu un succès de scandale qui dure encore. Richter s’en est expliqué, ces toiles de 1988 évoquant la mort des leaders de la RAF dans la prison de Stammheim ne marquaient ni sympathie politique ni volonté de dénoncer ces « suicides » suspects, seulement l’intention de congédier ce passé. Était-ce déjà le cas de sa Tante Marianne (1965), photo de famille réunissant le futur artiste et sa parente exécutée par les nazis en 1945 en tant que malade mentale ? Dans une pose caractéristique de l’artiste contemporain à succès, Richter assure encore au début de l’exposition : « Je n’obéis à aucune intention, à aucun système, à aucune tendance ; je n’ai ni programme, ni style, ni prétention ». C’est à voir, dans tous les sens de l’expression.Gilles Bounoure
Crédit Photo
Tante Marianne, 1965 © Gerhard Richter, 2012