Le chanteur Idir nous a quittés. L’artiste s’est fait connaître dans le monde entier dès sa première chanson « A Vava Inuva », reprise dans plusieurs langues à travers le monde. Il a alors choisi la vie d’artiste, devenant le meilleur ambassadeur de la chanson algérienne dans sa version berbère et kabyle.
Sans être un chanteur « engagé » ni un militant assermenté, Kabyle de naissance et de culture, dans une Algérie à la démocratie boiteuse et au capitalisme retardataire et dépendant, Idir a été présent, à travers son art, dans tous les combats démocratiques, avec comme étendard la défense de la culture berbère.
Ses débuts dans la chanson, c’était aussi notre jeunesse et nos débuts dans les batailles pour notre émancipation qui nous ont amenés au Hirak d’aujourd’hui. Nous étions au lycée en cette fin des années 1970, dans l’internat du lycée El Hammadia à Béjaïa/Bgayet. Idir allait passer à la télévision : c’était l’événement ! Un après-midi d’un jour de semaine, pas le soir : il ne fallait pas perturber le programme officiel. On allait donc sécher les cours pour se rendre au foyer pour voir Idir. C’est ce qu’on a fait, après dure négociation. De toute façon c’était ça ou la grève…
On écoutait les chansons d’Idir à la radio, chaîne 2 Kabyle, en cassettes dans les magnétophones. Mais pas à la télé. Il était parmi les « subversifs » pour le pouvoir de l’époque. Subversif dans le texte, mais aussi dans la musique… Il était moderne.
Idir était écouté par tout le monde
Oui, les modernes kabyles étaient subversifs. Il y avait eu l’onde de choc du Mai 68 français, mais les modernes de l’époque étaient vécus un peu comme porteurs de la culture occidentale en musique. Il y avait Djamel Allam qui était une sorte de Moustaki kabyle. Il y avait Ferhat Imazighen Imula, une sorte de Ferrat. Slim, le caricaturiste de « Zid ya Bouzid » l’appelait Jean Ferhat ! Il y avait Nourdine Chenoud avec son harmonica, il faisait du Bob Dylan en Kabyle… On peut citer aussi les Abranis, rock moderne type Rolling Stones… Mais tous ce beau monde, qui chantait très bien, c’était pour un public de jeunes, lycéenEs et étudiantEs…et il y a eu Idir, le moderne Kabyle par excellence. Il était écouté par tout le monde ; les hommes, les femmes, les jeunes, les grands-mères, les cultivés, les analphabètes, les bergers, les paysans, les chauffeurs de taxi, dans les salons de coiffure, dans les fêtes, dans les cafés…
Il portait la modernité dans ses textes et dans sa musique. Il a chanté pour l’émancipation de la culture berbère (Muqlegh), pour la liberté des femmes (Weltma), des jeunes (Arrach-negh), des mœurs, pour la liberté de conscience. Il a peu chanté l'amour (Thayri), il a en revanche peint le sacrifice et le silence des mères (Essendou), la fatalité de la Mort (Lmuth). Il a chanté la fête (Zwit Rwit), le cri de la révolte sonnant la fin de l'injustice (Thigri Bewgdoud), il a rendu hommage au militantisme politique (Izumal), il a magnifié la solidarité (Thiwizi) et dénoncé l'ingratitude (Azguer). Il a chanté l'exil et la séparation (Aghrib, Serhiyi) il a magnifié la révolution (Tagrawla), il a poussé vers l’unité dans la lutte (Lefhama), et il est resté moderne tout au long de ce parcours… Récemment, il avait apporté son soutien au « Hirak » en lui dédiant une chanson. « J’ai tout aimé de ces manifestations : l’intelligence de cette jeunesse, son humour, sa détermination à rester pacifique. J’avoue avoir vécu ces instants de grâce depuis le 22 février comme des bouffées d’oxygène », avait-il dit.
On avait donc raison de sécher les cours pour aller le voir, pour la première fois, à la télé, en ces temps pas si loin.