Publié le Lundi 18 juillet 2016 à 15h45.

Le disparu de Nuit debout - Épisode 2 - Des indigènes d’aspect effrayant

 

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Le cycle suivant, je me présentai donc au service des voyages spatio-temporels de la faculté. Le directeur commença par vérifier mon accréditation.

– Vous m’avez l’air d’un pistonné. De nos jours, on ne finance plus beaucoup d’études de ce genre sur des sujets aussi folkloriques…

On aurait dit que ça lui arrachait les ventouses.

– Bien, suivez-moi. Je vous préviens, pour la planète Terre, nous n’avons pas beaucoup d’apparences disponibles.

– Je me contenterai de ce que vous avez.

– Vous allez essayer votre tenue aujourd’hui, mais pour la téléportation, il faudra revenir : la cabine est en panne, nous attendons le technicien.

Malgré mes efforts pour maîtriser mes chromatophores, quelques taches violettes apparurent sur ma peau.

– Ne vous inquiétez pas. C’est une réparation mineure. Il n’y a pas de danger : le dernier accident remonte à cent vingt mille cycles.

J’enfilai donc l’enveloppe métabolique, avec l’aide du préposé.

– Ça va s’adapter automatiquement à votre organisme. Vous aurez la possibilité d’ingurgiter des boissons et aliments locaux au cas où vous seriez dans l’obligation de le faire, mais mieux vaut éviter certains produits dont la composition est douteuse. La liste vous sera fournie. Vous pourrez même avoir des relations sexuelles avec les autochtones, mais ce n’est pas recommandé non plus.

La sensation que j’éprouvais était étrange, mais je parvins assez vite à me déplacer sur deux jambes, bien que ce soit beaucoup moins commode et rapide qu’avec mes six tentacules inférieures.

– Voulez-vous savoir de quoi vous avez l’air ?

Le préposé fit apparaître un miroir parabolique. L’image qu’il renvoya me laissa perplexe. Elle était à vrai dire à la fois effrayante et un peu dégoûtante.

– Vous devrez vous y habituer. Sur la Terre, ils sont tous comme ça. Et bien entendu il vous faut des vêtements. C’est une planète primitive où ils ne peuvent pas s’en passer, à la fois pour des raisons de confort et de tabous, mais je suppose que vous le savez. Nous n’avons pas non plus beaucoup de vêtements qui correspondent à la période et à la région que vous avez choisies.

– Ça ira très bien, affirmai-je.

Le cycle suivant, on m’informa par télépathie que la cabine de téléportation était réparée. J’avais mis ce délai à profit pour acquérir quelques connaissances supplémentaires, en particulier de la langue locale, en me branchant pendant près d’un demi-cycle sur un des terminaux de la banque de données de l’université. Je ne devais pas tarder à réaliser que celle-ci n’était pas vraiment à jour. Mais au moment d’entrer dans la cabine, je l’ignorais. Une pointe d’angoisse m’assaillit quand la porte coulissa et que je me trouvai plongé dans l’obscurité. Puis une intense lumière blanche m’aveugla et je perdis connaissance.

* * *

– Tu es dans les vapes, ou quoi ?

Je venais de me matérialiser en un lieu qui, selon mon GPS interne, était bien la place de la République. Une foule d’indigènes m’entourait et c’est une personne de sexe féminin coiffée d’un turban jaune à pois rouges qui venait de s’adresser à moi. Au prix d’un effort, je parvins à surmonter la répulsion provoquée par son apparence en même temps que je doublai la dose de désinhibant qui s’écoulait dans mon organisme.

– Je suis étranger, dis-je.

– Ici, il n’y a pas d’étranger. Les seuls étrangers sont les flics et les patrons. Tu es sans-papiers ?

Je n’ignorais pas que, sur cette planète, les gens étaient encore obligés de porter sur eux toutes sortes de documents. La faculté m’en avait fourni, mais sans me garantir leur validité.

– Vous voulez voir mes papiers ?

– Mais non, on s’en fout complètement. Je te demande ça comme ça, au cas où il y aurait une charge de keufs, pour que tu te tiennes à l’écart.

Mon dictionnaire traducteur ne parvint pas à me fournir la signification de « charge de keufs ». Je m’efforçai d’adopter l’attitude de celui qui comprend, autant que je pouvais maîtriser mon enveloppe métabolique, ce qui n’avait rien d’évident.

– L’atelier sur l’épanouissement de la personnalité va commencer. Ca te branche ?

Cela, j’en comprenais le sens général. Mais en revanche, je ne voyais pas comment on pouvait s’épanouir au milieu de cette foule bruyante, dans ce lieu triste et gris, avec toutes ces odeurs nauséabondes. Le niveau de pollution mesuré par mon dispositif interne était effrayant. Heureusement, je n’avais prévu de séjourner sur cette planète que deux ou trois cycles.

J’échappai à mon interlocutrice, qui n’insista pas, pour faire un petit tour sur la place et me familiariser avec les lieux. Mon apparence ne devait pas être trop bizarre car personne ne me prêtait la moindre attention. J’assistais ensuite à différents débats et ateliers traitant des sujets les plus divers. Le désinhibant produisant l’effet espéré, je commençais à m’accoutumer aux mœurs des indigènes. J’enregistrais certaines interventions dans les cellules mémorielles réservées à ma thèse. Celles-ci avaient largement de quoi contenir des centaines de décades de discours, mais on m’avait appris à sélectionner les éléments les plus significatifs pour faciliter leur tri ultérieur.

Gérard Delteil

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