Publié le Jeudi 2 juillet 2020 à 19h44.

Le PCF à Renault Billancourt

De nombreux livres – mémoires militantes, travaux sociologiques – ont été publiés sur l’usine de Renault Billancourt qui, forte de plus de 30 000 ouvriers, marqua les deux grèves générales de juin 1936 et de mai 1968.

Le PCF dans l’usine, c’est en 1980 autour de 70 cellules et 2 000 cotisants. Même si ce décompte « administratif » ne signifie pas autant de militants, c’est un maximum atteint à cette date depuis 1945. L’ouvrage d’Alain Viguier, Le PCF à Billancourt, rédigé à partir de sa thèse universitaire, est basé, en sus de la consultation d’archives, sur des entretiens oraux réalisés auprès de tout l’arc politique qui fut actif à Billancourt.

Du PCF bien sûr puisque c’est le sujet du livre, jusqu’à Lutte ouvrière et la LCR en passant par le court moment maoïste, tous les courants politiques sont pris en compte. Mais sont aussi retenus et décrits l’activité féministe au sein du MLAC et du groupe femmes, les parcours de militantEs syndicaux et d’ouvriers de ces diverses nationalités représentées à Billancourt.

Ce faisant, c’est souvent une juxtaposition de prises de position qui seraient toutes aussi légitimes sans jugement de l’auteur sur elles. Cependant, les matériaux fournis sont là pour pouvoir en tirer des conclusions politiques.

La domination du PCF ne s’est bien sûr pas exercée de façon linéaire depuis l’élan donné par la nationalisation – expropriation de l’entreprise en 1945 et le rôle clé que jouèrent à ce moment-là le PCF et la CGT. Comme le rappelle l’ouvrage, ce fut une période d’intenses affrontements, en particulier chez Renault, pesant sur les rapports de force sociaux et la situation politique nationale. 

Ce qui marque l’histoire de Billancourt, comparée à celle d’autres grandes usines, c’est, bien sûr avec évidemment une intensité variable, la permanence des luttes, de l’atelier et du département aux dimensions de toute l’usine. Il n’aurait pas été possible de maintenir ces luttes à ce niveau pendant un cycle de plusieurs dizaines d’années sans un mouvement ouvrier organisé. Mais en même temps, ces luttes ont su être contenues dans des limites compatibles avec les choix stratégiques du PCF. Pour pouvoir isoler ou arrêter des grèves, comme cela est rapporté dans l’ouvrage d’Alain Viguier, il faut disposer d’une influence conquise lors de grèves précédentes et savoir la renouveler. Les ressorts contradictoires de la domination du PCF sont ainsi décrits.

Alors que les dirigeants « centraux » du PCF et de la CGT ont toujours été formés au même moule de l’école professionnelle Renault et de la montée dans l’échelle des responsabilités militantes, les OS animateurs du travail militant du PCF et de la CGT dans ce secteur n’ont jamais accédé à ces fonctions de direction centrale. La distanciation croissante du PCF d’avec une majorité de travailleurs immigrés est décrite dans le livre. 

Cette chronique d’un demi-siècle se termine par la fin de la production dans l’île Seguin en 1992 et – effet collatéral – par la fin du PCF à Billancourt. Une défaite sans véritable combat sinon limité à un dernier « carré » de militants du PCF. Les entretiens qui relatent ce moment disent l’amertume. La majorité des dirigeants du PCF et de la CGT de l’usine à la fin des années 1950, et toujours aujourd’hui en situation de militer, sont en dehors du PCF et de tout autre parti politique. 

Que le PCF se soit inscrit dans les années 1950 dans l’univers politique du stalinisme et en ait ensuite traversé toutes les crises est un fait historique à Billancourt comme ailleurs. L’ouvrage, même s’il fournit les matériaux pour le saisir, fait silence sur ce facteur et, en prolongement de cela, l’auto-organisation, c’est-à-dire la prise en charge directe de leurs affaires par les travailleurs eux-mêmes, n’est pas abordée comme critère pour juger de la justesse et de l’efficacité de la manière d’animer une lutte.

Même si la fin du PCF dans le cas de Billancourt s’explique par la fermeture de l’usine, toutes les grandes entreprises sont aujourd’hui en France un véritable désert politique. Et la présence faible mais réelle de courants politiques d’extrême gauche dans les entreprises ne comble pas ce désert. Quant à La France insoumise, la construction de groupes militants dans les entreprises n’est pas son sujet.

Les conditions d’affirmation politique de la « classe ouvrière », prise au sens de toutes celles et ceux qui sont exploités dans les rapports sociaux de production capitalistes, sont nécessairement nouvelles. Mais ce retour non mythifié vers le passé est utile aujourd’hui pour comprendre les raisons politiques de ses déroutes et tracer le chemin d’une véritable émancipation des ouvriers et de touTEs les exploitéEs. Un livre à lire.

* Patrick Schweizer et Jean-Claude Vessillier sont anciens salariés de Renault Billancourt.