Publié le Mercredi 3 février 2021 à 12h29.

Les Éditions Pontcerq : de la Commune au citrouillage, une ligne mouvante tout en arabesques

Créées en 2010 sous forme associative, les Éditions Pontcerq, maison d’édition basée à Rennes et Berlin, se sont d’abord essentiellement consacrées à faire connaître les textes de l’Institut de démobilisation (1) en publiant plusieurs attaques ad hominem contre la ville de Rennes et le journal Ouest-France. Depuis, les éditeurs ont enrichi leur catalogue d’une trentaine d’ouvrages sur des thématiques très diverses, sans rien céder sur leurs exigences éminemment politiques.

Si les Éditions Pontcerq n’affichent pas de ligne éditoriale strictement définie ni de collection instituée, la dimension politique, entendue comme visée émancipatrice, traverse l’ensemble de leurs publications, qui toutes tiennent du météore littéraire.

Exhumer, intriguer, révéler…

Que l’on songe à la Traversée de Gérard Hamon, où l’auteur s’est lancé à travers les archives, notamment celles de la police, sur la piste de communards jusqu’alors inconnus, à la réédition de la liasse K du Livre des passages de Walter Benjamin, intitulée La Commune, dont la préface de Marc Berdet fait le lien avec les enjeux politiques actuels, ou encore à la publication de Ulrike Meinhof 68-76 RFA, récit à la première personne de la période de clandestinité, écrit par Alain Lacroix. Ainsi, à côté d’écrits contemporains souvent inattendus, les Éditions Pontcerq cultivent l’art de l’exhumation de textes oubliés, capables de leurs lointains rivages d’éclairer, d’entrer en résonance avec notre époque d’une façon nouvelle, tels que l’Apocoloquintose, satire de l’empereur Claude écrite par Sénèque, traduite par Jean-Jacques Rousseau et richement annotée par Pontcerq, un pamphlet contre le pouvoir, d’une virulence très « Gilets jaunes ».

Un foisonnement d’interventions singulières

De cette ligne mouvante tracée tout en arabesques, ainsi que d’un travail d’expérimentation sans cesse renouvelé autour du format-livre, de l’image et de la typographie, naissent des objets littéraires atypiques, comme en témoigne la récente publication de Citrouillage (imminent) du prince. Ce livre-affiche présente au recto un portrait de l’empereur Claude réalisé pour l’occasion par l’artiste berlinois Torsten Holtz, et fait apparaître, par un jeu de pliage, un second livre contenant le texte de l’Apocoloquintose. Ce portrait, de même qu’un autre dessin figurant l’impératrice Messaline, viennent également dialoguer, sous forme de séries d’affiches, avec de multiples fragments d’œuvres d’Alfed Jarry et de Jacques Rancière, ou encore des slogans au service d’improbables campagnes électorales, qui désormais peuplent les murs de Rennes, agissant comme une revue éclatée, à ciel ouvert.

Une discipline de l’écart

Loin d’accepter de se plier au jeu de la machine médiatique, et toujours enclines à subvertir cet espace dans lequel elles prennent place, les éditions Pontcerq, diffusées par Hobo diffusion qui « promeut l’édition indépendante, engagée, libertaire, contre-culturelle », préfèrent réinventer les règles de la publication. En témoignent tant leur lettre d’information toujours déroutante et marquée du sceau d’un humour acéré, que les extraits textuels qu’elles disséminent sous forme de tracts, comme ce fut le cas de passages de la Première Sécession de la plèbe, publiée une première fois en 1829 par Pierre-Simon Ballanche et préfacée en 2017 par Jacques Rancière, distribués pendant l’occupation de la maison du peuple à Rennes, en 2016, au cœur de la lutte contre la loi Travail, ou encore d’historiettes de Hebel traduites par leurs soins, répandues dans les manifestations de Gilets jaunes et déclamées lors de « kolportages » de rue. Un imaginaire où rien n’est donné mais où tout donne à chercher.

Murmurant, à l’adresse de qui daigne prendre le temps de prêter l’oreille, des mots qui disent la possibilité d’une dissidence politique et esthétique à l’égard de l’ordre établi, les Éditions Pontcerq se soucient moins d’édifier que de favoriser l’émergence de voix qui, pour reprendre les termes de T. W. Adorno, dont la posture à l’égard du « monde administré » leur est chère, « cachent quelque chose comme il faut changer le monde ».

1 –Groupe d’intervention politique (https://i2d.toile-libre…)

www.pontcerq.fr