Lettres et révolutions sort à Paris le 22 juin. Et c’est un événement auquel il importe de donner le plus large écho. Dans sa version d’origine, ce film brésilien a pour titre Diairio de uma busca, Journal d’une quête. Celle de Flavia dans les pas de son père, décédé en un dernier combat, douteux peut-être, on ne saura jamais. Mais à la place se révèle bientôt une histoire bouleversante d’Amérique latine, et qui nous touche de près, celle de révolutionnaires, aux prises avec la terreur des généraux, puis confrontés au spleen de l’exil et aux difficultés du retour. Et loin d’être le tombeau d’une cause défunte, ce film, à cent lieues de toute idéalisation, est une redécouverte : celle des forces inépuisables de la jeunesse. Entre investigation, témoignages patiemment glanés, retours aux sources, moments de gravité ou de rire, c’est l’œuvre d’une cinéaste virtuose, à la petite musique sans égale.
Tout entier le vôtre, ce film : scénario, réalisation et montage.
Je n’ai pas eu le choix. L’idée a germé en 2002. Ma demi-sœur, Maria Cavalli Castro, venue de Paris, voulait savoir qui avait été notre père, qu’elle avait à peine connu. Ça a pris huit ans, entre deux scénarios écrits pour d’autres cinéastes, avec l’argent ainsi gagné.
Et l’on en reste aux conjectures, s’agissant de la mort de votre père.
Au moins sait-on, de source sûre, celle du médecin légiste, que la version de la police est fausse. Il ne s’est pas suicidé. Il a été abattu. Au reste, avec ses drames, ses espoirs et ses joies, le chemin de Celso dans la vie s’éclaire, j’espère.
Étonnante relation que celle que vous aviez avec lui. C’est à vous qu’il adresse cette lettre, quand vous aviez 17 ans, où il vous dit sa détresse, vous confie qu’il est au bout du rouleau.
Celso n’a pas été un père exemplaire, loin de là. Mais il avait cette capacité d’échange et d’amour, rare. Quand on habitait à Paris, mes parents étaient déjà séparés, et il avait instauré un petit rituel : une fois par mois, on allait au restaurant, rien que tous les deux. J’avais 11 ans et il me disait : « Comment va ta vie, pequerrucha ? » Outre à ne pas croire au père Noël, il m’a appris très tôt que l’important, c’est ce qui est invisible, toutes ces choses qu’on a du mal à exprimer. Et jamais ce dialogue n’a cessé.
Les lettres de Celso – j’ai moi-même mis du temps à le réaliser – celui qui les lit, c’est votre frère Joca. Quand vous l’interrogez parmi d’autres, il répète que ce film n’est pas le sien, qu’il veut rester à distance de toute cette histoire, et le voilà incarner son père !
Je ne voulais surtout pas de la voix d’un acteur : il fallait quelqu’un dont on sentirait qu’il lit, vraiment, avec le souffle et les imperfections. Et je voulais Joca. C’était une évidence : lui et Celso, leurs voix sont tellement proches ! Il a fini par accepter. Depuis qu’il a vu le film, il en parle comme du nôtre.
Le sujet, n’est-ce pas, c’est l’héritage, et quel héritage ! si complexe. Quel est l’accueil du film, parmi les jeunes en particulier ?
Dès sa première projection, au Festival de Gramado, dans le sud du Brésil, j’ai été surprise par le regard des jeunes. Au montage, j’avais coupé tous les témoignages « explicatifs », et je craignais que les plus jeunes aient du mal à comprendre les enjeux de « la grande histoire » qui traverse le film. Mais c’est le contraire qui s’est passé. Ils m’ont même attribué un prix, à l’unanimité, me disant qu’ils avaient découvert là toute une histoire de leur pays qu’ils ne connaissaient pas.
Le personnage central, c’est Celso, le grand absent. Mais est-ce si sûr ? Tous ces proches et combattants retrouvés, ce collectif auquel appartenait Celso, n’est-ce pas lui le héros de ce film choral ?
Avant toute chose, c’est l’histoire d’un père, une histoire de famille, comme dans beaucoup de films. Mais disons que la famille est large… Avec tous ces militants dont je n’ai pu garder que quelques morceaux de nos entretiens, j’ai des dizaines d’heures de témoignages passionnants. On en fera quelque chose.
Dans cette fraternité, quelles figures que celle de Sandra, votre mère, et celle de votre grand-mère, la mère de Celso, cette merveilleuse Zilda à son piano !
Zilda, saviez-vous qu’elle a aussi publié plusieurs recueils de poèmes ? Oui, Zilda… Quels regrets ! Elle est décédée trois mois avant la sortie du film.
Quant à Sandra, elle me disait ne pas comprendre ce que je cherchais. Mais, par exemple, elle m’a accompagnée au Chili, et c’était formidable. Au montage, me rendant compte de la présence qu’elle aurait d’évidence dans le film, je lui ai demandé de venir jeter un œil, au cas où. Non, m’a-t-elle dit, fais comme tu veux. J’ai trouvé ça courageux, infiniment généreux.
À entendre ses lettres, il écrivait sacrément bien, Celso…
Vous vous souvenez : enfant, il séchait les cours pour aller à la bibliothèque. Et il aura toujours lu énormément, histoire, économie, politique, et romans tout autant. À la fin de sa vie, il avait des projets d’écriture. Il dessinait aussi très bien.
De retour au Brésil, il était comme paumé. À quoi succombera-t-il, en vérité ?
Comment savoir ? Daniel Bensaïd parlait de la « bombe à retardement » qu’a été pour ces militants le souvenir de leurs amis disparus, quand eux avaient survécu. Cette bombe, mon père l’a sans doute moins bien encaissée que d’autres.
Vous devez être « morte » après un film pareil. Quel sera l’après ?
Quand je l’ai terminé, j’ai senti un grand vide. Mais j’ai Anaïs et Tom, mes enfants, auxquels j’ai dédié Lettres et révolutions ; cette école de cinéma à Rio dont je m’occupe de la coordination ; et je prépare un autre long métrage, une fiction cette fois. L’histoire d’une adolescente qui entretient un rapport intime avec la littérature. Où il sera question de ce qui entre d’imagination dans la construction de nos souvenirs.
Propos recueillis par Philippe Binet.