Pour ses trente recueils de nouvelles publiés pour l’essentiel aux éditions Pocket et Julliard... Par ces temps de grande agitation, de vents mauvais, nos journées sont très remplies et nos nuits pas très sereines. Nécessité donc pour les militantEs de se ménager des pauses, des « récréations », au sens plein, qui régénèrent nos forces, ne serait-ce qu’un peu. Pas question d’ajouter l’abrutissement d’un zapping télé ou sur les réseaux sociaux à notre fatigue-lassitude… Avec des lectures au long cours quasi impossibles, on pourra donc recommander de prendre en main un des livres d’Annie Saumont, car, comme dirait l’autre : « Il vaut mieux lire une bonne histoire de cinq pages qu’une mauvaise de cinq cents » !
Rien que les titres de ses recueils devraient nous mettre en appétit : Si on les tuait ? (1984) ; Je suis pas un camion (1989) ; Moi les enfants j’aime pas tellement (1990) ; Noir, comme d’habitude (2000) ; C’est rien, ça va passer (2001) ; Koman sa sécri émé ? (2005) ; Le tapis du salon (2012)... Des nouvelles de cinq pages, parfois moins, rarement plus de dix : travaillées, retravaillées parfois pendant deux ans, confiait Annie Saumont, polies, dégraissées à fond. « Je peux passer des mois sur une nouvelle… Pour raboter, rajouter quelque chose, changer. »
Des nouvelles à 0 % de pathos, qui nous sont données par une écrivaine au grand cœur qui sait si bien débusquer les chagrins bétonnés, les petits, les très grands aussi, mais presque toujours bien arrangés, les frustrations sans fond, sans projecteur, sans roulements de tambour… L’auteure s’efface pour nous laisser à nous, lecteurs, lectrices, toute la place : imaginez, suivez vos hypothèses, allez-y au feeling… Ne vous gênez pas, ces histoires sont à vous. Et il y en a plus de 300 à disposition !
On en choisira une pour mettre vraiment l’eau à la bouche. Dans Charlotte aux fraises, cinquième texte du recueil Le lait est un liquide blanc, Isa va acheter un dessert glacé à Atac pour fêter l’anniversaire de mariage, car Philippe aime la charlotte... Un achat qu’elle a oublié hier quand elle a fait les courses. Aujourd’hui, c’est le sac isotherme qu’elle a oublié, et il fait trente degrés à l’ombre… Mais le dessert n’est pas seul en souffrance : Son cœur fond. La charlotte aussi. Philippe l’assure, le champagne est au frais… Philippe a souri, C’est l’intention qui compte. Dans cette nouvelle, Isa se confie, mais on ne verra pas qui elle met dans la confidence… Et ce n’est pas Philippe. Un parfait régal.
Donc courez vers votre librairie préférée ou vers une bibliothèque si Annie Saumont n’est pas déjà dans la vôtre. Mais quoiqu’il en soit, il sera trop tard pour la lire de son vivant : elle nous a quittés le 31 janvier dernier à 89 ans. Mais vous pourrez ainsi la lire de votre vivant. Bien sûr, une vie sans avoir croisé Annie Saumont n’est pas forcément une vie totalement ratée, mais sans exagérer, sans être adepte du transhumanisme, lire ses nouvelles fait de nos vies des vies augmentées. De combien ? Impossible à dire, mais de beaucoup !
Fernand Beckrich